Expérimentation in vivo sur un corps social de la théorie du choc. N. Klein décrivait avec justesse les avancées néo-libérales successives, faites au profit des crises. Dans la situation de tension extrême, recroquevillé sur l’anxiété qui entrave toute tentative de contester des décisions drastiques, le modèle orthodoxe d’économie mondialisée gagne du terrain. Contrairement à une idée reçue, les masses ne contestent pas lorsqu’il y a souffrance. Les mesures infligées par “le concert des nations” à la Grèce dénotent une volonté manifeste de voir jusqu’où on peut aller trop loin.
Attaque massive
Généralement les États règlent la question en interne. Les seules interférences extérieures étant les exemples internationaux “qui marchent” pour asseoir des argumentations fallacieuses hors contexte. En présentant avantageusement aux travailleurs français l’âge de la retraite de l’Allemand, lui expliquant qu’il est nanti.
Il semble qu’avec la crise grecque (et les suivantes), un autre stade ait été franchi. Que la stratégie de harcèlement secteur par secteur se soit transformée en poussée massive prenant pour cible un État, une nation.
Les bourreaux à l’œuvre
Le lynchage en règle s’opère à tous les niveaux, experts, journalistes, politiciens. Travailler l’opinion sur des fondements crapoteux, mettant en exergue les dérives culturelles (voire génétiques) des Hellenes. Combien d’économistes persiflent de la “tricherie” du gouvernement grec, préférant la légendaire bonne gestion allemande. Cela a valu un acronyme porcin aux mauvais élèves, PI(I)GS. Ces experts qui font leur job depuis 30 ans sans jamais rien prévoir. Les mêmes qui chantonnaient les louanges de la moralisation du capitalisme, qui ne s’étouffent pas lorsque l’on prête à 4% à un pays exsangue, alors que l’on a acheté cet argent à 1%. Mélangeant sans vergogne fraude d’État, fraude individuelle. Le tout dans un salmigondis de propos ethnico-nauséaux. Courroie de transmission, les éditorialistes économiques, petites castes scientistes répétant un catéchisme prédigéré, s’en sont remis (eux aussi) au tropisme méditerranéen de la tromperie organisée. Se gargarisant du 13e et 14e mois de salaire des fonctionnaires. Deux mois amputés sans peine à ces replets fainéants. Plus dramatiques, sont les larmes de crocodile des politiques. F. Bayrou, par exemple, décrivait les réserves fiscales de la Grèce. Illustrant son exemple de leur propension à payer en liquide pour slalomer autour des taxes. Les Grecs se complairaient dans la fraude, le franchissement de lignes jaunes. Pour le plaisir de nuire.
Le grec n’est plus un autre “moi“, il est une autre chose. Une anomalie économique qu’il est bon de châtier sans complaisance. De passer au fer sans sourciller. D’ailleurs, lui-même se débat peu. Conscient de sa très (très) grande faute. Ils passeront donc sur le chevalet. Foin de bons sentiments !
Pourtant, des bons sentiments n’ont pas manqué lorsqu’il fallut faire le marketing d’une Union Européenne fantasmagorique, des peuples et de l’expansion économique. Des bons sentiments caducs quand il faut passer à l’action, à la solidarité. Mais quand il s’agit d’intérêts, d’idéologie…
Dans ce laboratoire de catastrophe sociale, le Péloponnèse sera scruté avec attention. Jusqu’où le tour de vis budgétaire, agrémenté de propagande économique peut contraindre un peuple à se dépouiller sans heurt. Jusqu’où peut-on pousser le paradoxe de cohérence européenne, d’entraide des membres, et se nourrir dans le même temps sur la bête ?
Enfin, comment par le miracle de la didactique des décideurs, l’exemple grec pourra servir de hochet, pour l’euphémisation des réformes moins brutales infligées dans les pays voisins ? Que peut rétorquer un Français auquel on impose 2 années de cotisations supplémentaires, alors que 9 sont prescrites aux grecques.
L’Europe s’est trouvé une victime expiatoire de la globalisation. Consciente qu’un modèle positif (type Irlande, Espagne, Islande,…) ne fait plus recette, elle a construit un (premier) épouvantail à exposer sur le marché mondial de la peur. Une tête de Turc, la Grèce.
Vogelsong – 4 mai 2010 – Paris