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Le raffut du diable

Publié le 08 mai 2010 par Didier54 @Partages
Parfois, c'est au burin qu'il faudrait aller chercher les mots nichés dans le granit des entrelacs de son boucan. Marteau dans un main, traquer la bête épaisse qui ronfle si fort narines retroussées. De ces ronflements qui ne sont pas du sommeil mais une sorte d'apesanteur, une torpeur torve et lascive à laquelle Stéphane là tout de suite a envie de mettre des coups de canifs pour voir si ça saigne encore.
Y plonger les mains, il le ferait s'il en avait l'énergie mais celle-ci avait fait de lui une pile vidée de son alcaline. Ca remuglait parfois, de manière éprouvée, une toux sans souffle, un sifflement désert.
L'effort est indéniable.
Il ferait canicule que la sueur perlerait.
Il ferait hiver que les mâchoires s'entrechoqueraient. L'onglée ne serait pas loin.
Il ferait printemps qu'on dirait l'automne.
Le cœur bat la chamade et ça danse et ça se tortille et ça polyglotte. Le raffut du diable.Chambre 2023, Stéphane cette fois n'est pas allongé. Il ne tourne pas en rond, ses pensées le font pour lui. Il a presque réussi à se calmer un peu. En est assez satisfait.
Il connaît la chanson, il est devenu mélomane de ses soliloques gastriques.
Il n'a suivi aucun conseil, ou alors les a tous suivis, comme s'ils étaient de marbre gravé. Il n'a avalé la moindre capsule.
Il s'est borné à espérer puis apprécier que la migraine s'estompe. Car elle s'estompe.
Il la sait proche des tempes, mais cette paix des braves lui convient. Il s'en satisfait. La satisfaction est une denrée rare, il le sait.  Il est venu il y a quelques semaines déjà.
Il est parti, puis il est revenu.
Il ne cherche plus à savoir s'il s'en sortira. S'il en sortira. Il pense à son grand-père, qui fut fait prisonnier pendant la guerre. Son grand père qui avait fini par apprendre à ne plus compter les jours, parce que se libérer, ça commence dans son imaginaire. Un imaginaire auquel ensuite on s'essaie à donner coeur, puis corps. Stéphane savait cela. Maintenant, il le comprend.  Il n'a aucune envie de vider son sac et de déballer ses sacoches, il n'a pas envie de fouiller dans ce qu'il pensait être des décombres et qui semblent être finalement d'une féroce actualité.
Il est des temps qui fuient, mais jamais ne s'enfuient. Des temps qui sont comme l'eau stagnante de la mare. Les grenouilles s'y reproduissent et n'hésitent pas à laper la libellule. Catherine n'est pas venue le voir cette fois. Elle n'a pas voulu. Pas pu, peut-être. Il peut la comprendre. Mais il n'en a pas envie. Plus maintenant.
A leurs 20 ans, ils ne s'étaient pas promis ça.
La nouveauté, c'est peut-être que cette fois, elle n'a même pas essayé de venir. La maison continue sa vie, il faut bien s'en occuper. Itou. Le magasin ne pas s'ouvrir tout seul. C'est difficile, pensait-il tout à l'heure devant son gobelet trop vite vidé. Sourire aux gens malgré tout, faire avec leurs regards lourds de non dits.
Elle n'est pas cachée aux regards. Elle n'est pas soustraite à l'addition des interstices. Son absence à lui n'est rien d'autre qu'un reflet, il le sait bien.Sa présence est une ombre. Il le sait aussi. Il a pourtant perçu dans son regard la dernière fois une lueur qui empruntait à la haine. Ou à une voisine émotion. Un regard dont il dirait que c'est celui, concentré, affûté, du guet. L'attente tous sens en éveil, prête à bondir. Oreilles tendues, corps en alerte, fusil en bandoulière. Chargé le fusil. Jambes au sol promptes à déguerpir si besoin. On ne sait jamais si on tombera sur un ours ou sur une palombe. Avec son burin, il scrute la pierre, n'ose pas donner du gourdin. Pas encore. Il sent l'armée des mots qui rapplique, qui se rapproche. Marmite bouillonnante qui ne bout pas encore, ou a qui a déjà déversé quelques gouttes ça et là.
Il sent l'eau qui ruisselle le long de la roche avec la patience infinie de l'infini. La chambre 2023, il l'aime bien. Il y est seul.
Dans la 789, ils étaient deux et la promiscuité avec Hugues lui était pénible. Hugues pleurait. Il pleurait tout le temps. Il reniflait, en fait. Le reste du temps, il s'en excusait.
Catherine ne reviendrait pas. Il ne savait pas si de son côté, il reviendrait.

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