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Le Pays du sourire (Das Land des Lâchelns)

Publié le 08 mai 2010 par Porky

Et si, le temps d'un billet, nous délaissions le domaine de l'opéra pur et dur, celui où les héros et les héroïnes finissent la plupart du temps par mourir (d'une façon parfois assez rocambolesque) pour entrer dans celui, considéré comme plus léger, de l'opérette ? Mais l'ouvrage concerné n'appartient pas à ce genre d'opérettes dites frivoles, pourvues d'un dénouement heureux. Avec La Veuve joyeuse, Le Pays du sourire est l'œuvre de Franz Lehar la plus connue, la plus jouée, et sans doute aussi la plus massacrée. 

J'ai des souvenirs abominables de « représentations » consternantes de cette opérette (mise en scène et interprétation en dessous de tout ce qu'on peut craindre), d'épouvantables auditions de certains extraits, l'illustrissime « je t'ai donné mon cœur » en tête, beuglé, hurlé, mutilé, tout ça pour permettre au « ténor » de montrer sa « puissance » vocale, mais révélant le plus souvent son indigence, vocale également. Sans parler du parfait mauvais goût qui incitait les divers interprètes de cet air à en rajouter dans les coups de glotte sanglotants et les chevrotements pathétiquement passionnés (ou passionnément pathétiques, comme vous voudrez). Et que dire des Lisa sur le retour qui chantaient régulièrement en dessous de la note ou des Mi sexagénaires qui montraient leurs varices en se trémoussant dans leur tenue de tenniswoman au second acte ? Représentations d'amateurs et de patronage, direz-vous. Parfois, oui ; mais hélas, dans la majorité des cas, non.

Passons vite sur ces réminiscences qui donnent le frisson et consolons-nous en pensant que de véritables artistes, et des plus grands, n'ont pas hésité à chanter ces airs qui sont dans toutes les mémoires de passionnés d'opérettes, le grand Richard Tauber en tête pour qui l'œuvre fut composée et par qui elle fut créée. A cet illustre nom, rajoutons celui de Nicolaï Gedda, Erich Kunz, Elisabeth Schwarzkopf, Emmy Loose, René Kollo (au temps où il savait se servir de sa magnifique voix)...

Le compositeur Franz Lehar, né en 1870 en Hongrie, n'obtint réellement un triomphe international qu'avec La Veuve joyeuse, en 1905. Il était déjà l'auteur d'un certain nombre d'ouvrages qui n'avaient obtenu qu'un succès d'estime. La Veuve lui apporta la consécration mondiale. Il faut dire que tout, dans cette Veuve Joyeuse, concourre à en faire un chef-d'œuvre : le livret n'a rien certes de génial, mais il est drôle, enlevé, et la musique est tout simplement magnifique. Que d'airs qui, eux aussi, passeront à la postérité et seront fredonnés jusque dans les rues de toutes les villes du monde : « Heure exquise », bien sûr, mais aussi le célèbre « femmes, femmes, femmes », et l'air d'entrée de Hannah, et « la chanson de Villya », et... Mais il faudrait citer presque toute la partition.

Lehar avait alors  trente-cinq ans. Il avait encore une longue carrière devant lui. La guerre de 14 sonnera pour longtemps le glas de la création musicale mais Lehar aura le temps de composer avant cette tuerie deux autres ouvrages, Der Graf von Luxembourg en 1909 et Zigeunerliebe en 1910. Encore des airs célèbres, mais d'une moindre qualité que ceux de la Veuve.

Pendant les années qui suivirent la guerre de 14, il fut très difficile de retrouver cette veine insouciante, légère comme une bulle de champagne qui caractérisait l'opérette viennoise de la Belle Epoque. Lehar n'arrivait pas à s'adapter à ce nouveau monde qui se mettait en place, si différent de celui qu'il avait connu et qui l'avait porté en triomphe. C'est alors que, sous la pression de diverses circonstances, il fut amené à changer d'orientation et à donner un nouvel élan à son inspiration. Le temps de la frivolité et des dénouements heureux était terminé ; le compositeur était sur le point de trouver une nouvelle veine, empreinte cette fois d'un réalisme romantique, où les personnages font l'expérience d'un amour sincère et profond, ainsi que de peines plus véridiques, où ils sont confrontés à de véritables problèmes, graves et parfois insolubles ; la fin de l'ouvrage pouvait cette fois être triste, ou mélancolique ; on pouvait montrer les espoirs déçus, les amours impossibles. En 1922, il compose Frasquita, ouvrage poignant qui ouvre la voie à cette nouvelle tendance.

Cet élan qui le pousse vers cette nouvelle conception de l'opérette, Lehar le doit à une étroite collaboration avec le ténor Richard Tauber. Cet immense chanteur qui s'était illustré dans de nombreux rôles à l'opéra avait eu l'intelligence de comprendre que sa voix et son tempérament conviendraient parfaitement à l'opérette -genre considéré alors (et toujours) comme mineur par rapport à son « Grand Frère ». Si Frasquita n'obtint pas dès sa création un grand succès, ce fut parce que Tauber ne participa pas aux premières représentations ; mais dès qu'il reprit le rôle principal, il sut transformer cette œuvre au demeurant un peu mince en un véritable « tube » avant l'heure. Il en fut de même pour Paganini en 1925, Der Zarevitsch en 1927 et Friedrike en 1928.

Cette rencontre, ajoutée à une certaine logique dans la composition, conduisit Lehar vers un nouveau chef-d'œuvre, Das Land des Lâchelns (Le Pays du sourire).

A l'origine de l'opérette, il y a Die Gelbe Jacke (La veste jaune), opérette composée précédemment par Lehar, à la partition ambitieuse, mais saluée par un accueil modéré. Un ami conseilla au compositeur de reprendre cette partition qui contenait de magnifiques passages, de la resserrer, de la retravailler. L'air autour duquel allait être construit le livret du Pays n'était rien moins que celui qui allait devenir le plus célèbre de l'ouvrage, « Dein ist mein ganzes Herz » (« Je t'ai donné mon cœur »). Le livret, dramatique et bien charpenté, était peuplé de personnages sonnant vrai ; on décida de substituer au traditionnel « happy end » un dénouement réaliste, triste mais sobre. Le résultat fut une œuvre aux antipodes de la Veuve Joyeuse, toute entière tournée vers l'effervescence et la frivolité.

Le 29 octobre 1929, Le Pays du sourire fut créé au Metropol Thetaer de Berlin. Grand succès, qui fut suivi d'une tournée qui mena l'ouvrage jusqu'à Vienne. En 1931, Londres l'accueillit sur la scène du Drury Lane Theatre ; Lehar sembla réconcilier le public britannique avec l'opérette car il n'avait eu, depuis La Veuve joyeuse, que peu de succès, les anglais lui préférant la comédie musicale américaine. Ce fut un triomphe, grâce à l'interprétation de Richard Tauber. Mais le comportement capricieux du ténor, présent un jour, absent le lendemain, etc... ruina les chances de succès durable de l'œuvre qui fut retirée de l'affiche au bout de 71 représentations : sans sa « star », le Pays n'intéressait plus...

Mais il faut plus que les caprices d'une star pour faire définitivement couler un ouvrage de la qualité du Pays du sourire. Avec la Veuve Joyeuse, elle sera l'opérette de Lehar la plus fréquemment montée, et ce dans le monde entier, dans toutes les langues, et, rançon du succès, comme je l'ai dit plus haut, la plus terriblement massacrée... Toute médaille a son revers, même la gloire...

ARGUMENT

ACTE I - Vienne, 1912, salon du Comte Lichtenfels.

Une soirée est donnée en l'honneur de Lisa, la fille du Comte, qui vient de remporter un concours hippique. Lisa apparaît, les invités la saluent et boivent à sa santé ; sur un air de valse entraînant, Lisa les remercie et les invite à rejoindre la danse. Parmi ses admirateurs, figure le jeune officier de hussards, le Comte Gustav von Pottenstein, que ses amis appellent Gustl. Il est follement amoureux de Lisa mais n'a jamais pu rassembler les 20 000 couronnes qu'un décret du gouvernement fait l'obligation d'avoir à tout officier désireux de se marier. Il est enfin parvenu à économiser cette somme et se déclare. Mais ses espoirs sont déçus : Lisa a promis son cœur à un diplomate chinois, le Prince Sou-chong. Lisa et lui ne pourront être que bons amis, ce qui n'est déjà pas si mal...

Arrive le Prince Sou-chong. Derrière son impassibilité toute chinoise, il cache une véritable passion pour Lisa comme il le confie dans son air d'entrée. (« Toujours sourire... ») Lisa entre, le remercie pour le cadeau qu'il a apporté et tous deux conversent autour d'une tasse de thé.

Au cours de la soirée, Sou-chong apprend qu'il vient d'être nommé Président de son pays  et son ambassade lui demande de retourner en Chine. Le moment est venu pour Lisa de prendre une décision importante : soit elle part avec Sou-chong, soit elle reste à Vienne et épouse Gustl. Mais dans le duo final du premier acte, Lisa se rend bien compte qu'elle aime le Prince et décide de partir avec lui en Chine.

ACTE II -  Pékin - le Palais de Sou-chong.

Lisa est désormais mariée au Prince. Elle est très heureuse et les premiers temps ne sont que félicité et merveilleux moments. Sou-chong a été acclamé par ses concitoyens et il promet de faire honneur à « la veste jaune », la plus grande distinction qui soit dans le pays.

La sœur de Sou-chong, Mi, est très européenne dans sa manière de s'habiller : elle n'hésite pas à parader en tenue courte de tennis au milieu de la Cour, ce qui choque l'oncle Tchang, le Mandarin. Le caractère malicieux et primesautier de Mi s'exprime parfaitement dans son air célèbre « au salon d'une pagode », délicieux aria qui prône la liberté féminine. Etrange coïncidence : elle a joué au tennis avec un homme qui n'est autre que Gustl, lequel a réussi à se faire nommer Attaché Militaire de l'Autriche à Pékin de manière à pouvoir continuer à veiller sur Lisa. Cependant, Lisa mariée est inaccessible et Gustl se sent attiré par Mi et le couple chante une joyeuse chanson d'amour « mon amour et ton amour » qui affirme que l'amour n'est qu'un jeu.

Lisa, obtenant des nouvelles de sa famille par Gustl, se sent atteinte du mal du pays et demande à son mari de la laisser aller à Vienne en visite. Mais il a peur de la perdre et refuse la permission. Il a raison d'ailleurs de s'inquiéter car lorsque Lisa apprend que Sou-chong, conformément à la tradition, a quatre autres épouses, chinoises, en plus d'elle, elle prend très mal cette révélation. Ces unions n'ont beau n'être que des mariages de convenance et pour la galerie, et il a beau la rassurer en lui affirmant qu'il lui « a donné son cœur », Lisa ne le croit pas. La discussion s'envenime, surtout lorsque Sou-chong lui ordonne d'obéir sans poser de question, car une femme, dit Confucius, n'a pas de volonté par elle-même. Cela se termine en querelle au terme de laquelle Lisa crie à son mari « je vous hais », faisant ainsi s'écrouler les rêves de bonheur de Sou-chong. Lisa est confinée dans le palais avec pour seul réconfort les visites de Gustl.

ACTE III -  Le quartier des femmes du Palais de Sou-chong.

Emprisonnée, Lisa projette de s'évader et demande à Gustl de l'y aider. Toutes les portes sont verrouillées et la seule issue possible est celle passant par le temple. Mi accepte de les aider et trouver les clefs qui permettront d'ouvrir les portes du temple. Elle et Gustl se disent adieu ; ils sont conscients d'être attirés l'un par l'autre mais ne veulent pas reprendre à leur compte l'erreur de Lisa et de Sou-chong.

Alors qu'ils pénètrent dans le temple, arrive Sou-chong. Ils craignent un châtiment sans pitié mais le Prince révèle alors toute sa noblesse, typiquement chinoise : comprenant qu'il ne peut garder Lisa, il lui fait de tendres adieux et demande à Gustl de prendre soin d'elle. Les adieux sont déchirants, chacun fixant l'autre pour la dernière fois, car la séparation sera définitive. Lisa et Gustl partis, c'est le magnifique et poignant final de l'opérette, le frère et la sœur se consolant l'un l'autre, se souriant tristement, à l'orientale : ne jamais rien montrer de sa souffrance, mais sourire, toujours sourire...

VIDEO 1 : L'air d'entrée de Lisa, acte I : Elisabeth Schwartzkopf.

VIDEO 2 : L'incontournable air de Sou-chong, Acte II, Richard Tauber.

VIDEO 3 : Une petite curiosité : un extrait de film avec Richard Tauber et Margit Suchy, duo de l'acte II "Qui dans nos coeurs a fait fleurir l'amour".


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