`
Nous fêtons aujourd'hui les 60 ans de la Déclaration de Robert SCHUMANN. Évènement fondateur de la construction européenne et tournant décisif dans l'histoire de peuples dont bien souvent les chemins ne se sont croisés qu'au travers des vicissitudes des conflits armés. Des hommes et des femmes se sont découverts une destinée commune et non plus antagoniste.
Le rêve européen transcende ses créateurs. Cette construction unique dans l'histoire de l'humanité était déjà invoquée au XIX° siècle sous la plume de Victor HUGO au travers de ce qu'il dénommait alors les États Unis d'Europe.
Évidemment, les pères fondateurs ne pouvaient prévoir l'évolution du monde et les difficultés auxquelles nous serions confrontés.
Cette image idyllique des citoyens européens marchant main dans la main a rapidement trouvé ses limites. Le panorama que nous offre l'Union Européenne aujourd'hui n'est guère enthousiasmant. Ce n'est pas ce vaste hypermarché qui va galvaniser les foules, même parmi les plus europhiles de nos concitoyens. Je passe sur l'hostilité viscérale que ce projet éveille auprès de quelques-uns. La grande majorité des européens est essentiellement frappée d'indifférence à ce qui fut pourtant une chance dans notre histoire.
En effet, la fonction protectrice de l'U.E. est incontestable. Je n'entrerais pas dans le traditionnel couplet sur la longue période de paix que nous connaissons grâce à elle. Sans cette Union et plus particulièrement l'Euro, nous aurions été davantage affectés par les effets de la crise financière de l'année dernière. A ce sujet, la pétition lancée par Nicolas DUPONT-AIGNAN pour appeler à une sortie de la France de la zone euro est une véritable aberration. Attiser les braises et faire le jeu des euro-sceptiques ne me semble pas particulièrement responsable dans le contexte actuel.
Force est de constater que l'on est loin de mettre en oeuvre la devise "Unis dans la diversité". Les récents évènements nous ont prouvés la force des identités nationales.
L'Allemagne a mis près de six mois pour se décider à aider la Grèce ! Bien sûr cette dernière ne risque guère de revêtir l'apparence d'une blanche colombe. On peut comprendre qu'il soit difficile de demander à d'autres peuples de porter une part de la charge des erreurs qui ne sont pas de leurs faits. Heureusement, cela n'aura pris que la forme d'hésitations.
L'Angleterre, elle, vient de refuser de participer à la mise en place d'un Fond d'urgence européen...
A côté de cela, le cas de la Belgique est là pour nous montrer les difficultés de coexistence de communautés au sein d'une même entité, pourtant nationale dans le cas présent (*) .
Dire qu'au XVIII° siècle, MONTESQUIEU reconnaissait déjà l'interdépendance des Etats en écrivant " L'Europe n'est plus qu'une nation composée de plusieurs, la France et l'Angleterre ont besoin de l'opulence de la Pologne et de la Moscovie, comme une de leurs provinces a besoin des autres". Étonnant qu'il soit plus difficile d'en prendre conscience au XXI° siècle.
Pourtant la solidarité entre les États membres est nécessaire aujourd'hui si l'on ne veut être entraînés à notre tour dans un cycle économique encore plus délétère pour nous tous.
Ce repli sur des considérations nationales est inéluctable dès lors que les bases sur lesquelles l'édifice a été bâti reposent prioritairement sur les intérêts économiques. On connaît les relations dans un système capitalistique où seule la raison de plus fort l'emporte... Pas de quoi pousser à la concorde, mais bien plutôt à la concurrence et à la compétition. Ce qui se conçoit en matière commerciale , financière et sportive (tant qu'à faire...), certainement pas en tant que manière de voir le lien entre les peuples d'une même entité.
Autre travers qu'il faudrait extirper : la complexité inhérente à ce type de construction et qui éloigne le citoyen qui n'y comprend rien. C'est un univers qui apparaît comme chasse-gardée des technocrates. Ce n'est pas ainsi que va naître un réel sentiment d'appartenance au sein d'une population non initiée. Ce n'est d'ailleurs pas à cette dernière de se mettre au niveau de "l'expert", c'est l'inverse qui doit se produire. Un exercice qui ne semble pas du goût de nos "élites" européennes.
Par ailleurs, l'Union Européenne manque cruellement d'un visage identifiable. Le traité de Lisbonne a doté le Conseil Européen d'une présidence plus stable. Soit. Je doute que ce soit le terne Herman VAN ROMPUY qui va éveiller des sentiments pro-européens. Sa récente tribune parue dans Le Monde et publiée également dans les différents journaux européens n'est guère enthousiasmante. C'est un état des lieux rédigé par un technicien, pas une feuille de route tracée par un politique. On me dira que ce n'est pas son rôle. Le problème est que c'est un rôle dont tout le monde rejette la responsabilité. Un excellent exemple d'engouement pour la construction européenne que cet homme qui admet qu'il a "tout fait pour refuser cette nomination", voir Le Figaro du 04 mai.
C'est là une des difficultés majeures de l'Europe, il n'y a pas pléthore d'hommes ou de femmes au sein de notre personnel politique qui soient aptes à insuffler un désir d'Europe. Or la désaffection des opinions publiques est avérée. Elle sera difficile à retourner.
Jean MONNET affirmait que l'Europe se construisait dans ses crises. Ma foi, le contexte de crise actuel ne permet pas d'impulser un minimum d'évolutions, sans doute que rien n'y parviendra. Il faut par exemple relancer les mécanismes d'intégrations qui ont été laissés en stand-by depuis la mise en place de l'Euro. Il faut également définir concrètement un modus operandi pour un fonctionnement par cercles concentriques. Idée lancée en son temps Jacques DELORS et qui a fait son chemin. Tardivement. Elle me semble la plus raisonnable pour avancer désormais.
La crise financière pouvait laisser prévoir un retour des États et de la Politique. Les leçons n'ont pas été tirées et nous revoyons poindre le règne unilatéral des marchés financiers. Des marchés qui ont la force de casser l'Euro si telle était leur bon vouloir. Il suffit de se référer aux propos des prix Nobel Joseph STIGLITZ et Paul KRUGMAN sur la monnaie commune pour se rendre compte de sa fragilité.
Avec les années, la construction européenne s'est éloignée de la vision qu'en avait ses pères fondateurs. Il est assez difficile de la définir aujourd'hui, est-ce une construction fédérale ? La juxtaposition d'Etats Nations ? Ni tout à fait l'un ni tout à fait l'autre nous sommes plutôt dans une phase hybride.
La question de savoir ce que l'on veut faire de cette Europe se pose. Le problème n'est pas tant l'interrogation que de savoir qui doit y répondre : les technocrates ? Les représentants des différents gouvernements ? Le citoyen ? Peut-être personne. La construction européenne se fait progressivement, mais quant à savoir qui est aux commandes et dans quelle direction, allez savoir.
Je vais oser citer le général McCarthy pour conclure. Qu'est ce qui différencie une victoire d'une défaite ? Deux mots : "Trop tard !" Souhaitons qu'il n'en soit pas ainsi pour la construction d'une véritable Europe politique et intégrée.
(*) Difficile de ne pas en profiter pour lancer une petite pique sur Bruxelles au passage. Je ne doute pas que cette capitale symbolise effectivement mieux l'Europe telle que nous la vivons que Strasbourg. Ce refus de l'altérité manifesté par les communautés flamandes et wallonnes est tellement caractéristiques des valeurs portées par l'U.E... C'est sans aucun doute un symbole préférable à celui vieux genre de l'Europe des Droits de l'Homme et de la Démocratie incarné par Strasbourg !
