Selon le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, la Grèce aurait donc été la victime d’odieux spéculateurs, qui s’apprêtaient, après cette répétition générale, à fondre sur l’Espagne, l’Italie, l’Irlande, le Portugal, et même peut être la France, afin de réaliser d’énormes profits en vendant de l’euro contre du dollar (après avoir refusé d’acheter de nouvelles obligations grecques, même à 11% de rendement, ce qui n’est vraiment pas sympa…).
Mais, pour prouver sa détermination, cet aréopage d’hommes politiques a décidé de créer «un fonds de stabilisation», dont on a compris qu’il sera l’outil de la résistance aux forces obscures du marché. Est-ce au marché de fixer le cours de l’euro ? Certainement pas…
Décodons.
Les réunions d’urgence convoquées à la dernière minute, qui commencent le vendredi soir et s’achèvent au petit jour blême de Bruxelles sont toujours dictées par la trouille. De voir l’euro s’écrouler comme un château de carte : car, si le sauvetage de la Grèce a coûté quelque 100 milliards d’euros, celui de la prochaine victime de la même spéculation, aurait un prix tel qu’il dépasserait tout simplement les possibilités de l’ensemble de la coalition européiste. Espérons que les 750 milliards d’euros soi-disant mobilisables en cas de nouvelle «attaque» suffiront à rassurer tout le monde. Encore faudra-t-il que les nouvelles émissions de bons du trésor trouvent preneurs…
Expliquons.
L’idée reçue (et parfaitement fausse) était, il y a encore peu de temps, qu’il n’y avait pour ainsi dire aucune limite à l’endettement des États. Entre la planche à billets et l’inflation, ils disposaient de plusieurs moyens pour continuer à dépenser à crédit, avant d’augmenter les impôts. Mieux : ils étaient bien notés par les agences de notation. Les fonds en quête de bons placements sans risque faisaient la queue pour leur prêter de l’argent.
Sans qu’ils le sachent, les choses avaient changé. Les banques et les fonds qui souscrivent à des obligations du Trésor ont des actionnaires privés, qui n’apprécient pas de ne pas être remboursés. Ils rémunèrent donc des agences privées chargées d’évaluer ce risque de non remboursement. Et, compte tenu de l’accentuation des déficits, des perspectives de non-croissance et de relèvement des taux d’intérêt, les dégradations ont commencé à tomber.
Pour la première fois depuis très longtemps le taux d’intérêt payé par les meilleurs débiteurs publics est passé au-dessus de celui des meilleurs débiteurs privés.
La panique sur les emprunts grecs en euros, puis sur les emprunts d’autres pays faibles, n’a surpris que ceux qui ne connaissent rien aux marchés financiers. Ceux-là – en particulier nos chefs d’État – auraient donc mieux fait ne pas trop compter sur les «gnomes de Bâle», et donc de ne pas accumuler les déficits et les dettes…
Car l’État-Providence – dont le modèle social français est une sorte d’étendard – forme avec les marchés financiers un couple contre nature. Collectivisme et liberté ne sont pas solubles. Le premier, pour survivre, doit tuer la seconde.
Pour «calmer les marchés», il ne suffit plus d’ectoplasmes. Il faut organiser le repli de l’État-Providence. Comme on prend un ris sur un bateau à voiles quand le vent se lève.
Mais cette manoeuvre, toujours délicate, nos chefs d’État ne veulent pas (ou ne savent pas, ou ne peuvent pas…) la mener. Exemple : François Fillon – le plus honnête des premiers ministres… – envisage de réduire de 5 milliards d’euros sur deux ans les «dépenses fiscales» (c’est à dire d’augmenter les impôts d’autant), tout en s’engageant enfin sur la voie du gel des dépenses de l’État. Trop peu et trop tard.
La «spéculation» (terme qui englobe tous ceux qui ne viennent pas spontanément apporter leur argent pour financer les déficits publics mirobolants, un peu comme nos ancêtres avaient su le faire pour financer l’effort de guerre) a donc encore de beaux jours devant elle.
Et j’avoue que je me sens plus proche de ces spéculateurs que des grands prêtres de la dette.
Plutôt que de voir chaque jour ma modeste épargne s’étioler, j’aimerais bien trouver le moyen de gagner un peu d’argent, par les temps qui courent, quitte à «spéculer».
Bien sûr, mes placements en or se sont révélés bénéfiques. Que n’ai-je investi davantage dans ce vil métal !
On me dit qu’il existe un marché, le Forex, sur lequel tout un chacun peut «spéculer». Encore faut-il disposer d’une bonne couverture. Et accepter de prendre des risques élevés, pour des gains très hypothétiques.
Ces spéculateurs, qui font vaciller l’État-Providence, me plaisent décidément.
Il faudrait les subventionner !…