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L'absentention thérapeutique

Publié le 10 mai 2010 par Yann Frat / Un Infirmier Dans La Ville

Un interview sur Europe 1 m'a particulierement agacé (j'y reviens un peu plus bas) alors je veux reprendre le sujet de l'euthanasie en France d'abord en évoquant l'abstention thérapeutique.

- L'abstention thérapeutique c'est quoi donc?

Suite à l'affaire Humbert et puisque "l'euthanasie active" (le fait d'injecter volontairement un produit létal) est toujours interdite en France, les législateurs ont développé le concept de l'abstention thérapeutique ou, dit autrement, le droit pour un médecin sous certaines conditions de ne plus "rien" faire et d'arrêter tous les traitements hormis les traitements antalgiques afin de laisser le patient partir. 

-Quel est l'intérêt? : C'est de marier la chèvre et le chou ou, dit autrement, de ne pas maintenir en vie quelqu'un artificiellement et de "laisser la nature agir" sans pour autant provoquer "directement" la mort, une façon de contourner le problème légal de la suspicion de meurtre donc.

Quels sont les limites? : Les limites de cette pratique sont avant tout morales car cela revient parfois à priver le patient d'alimentation et d'hydratation et donc à le laisser doucement mourir de faim et de soif dans un lit d'hôpital.... Donc certes cela résous un problème... en en créant d'autres...

Cela dit et dans la suite des autres articles que j'ai écrit sur ce sujet j'ai été particulierement agacé d'entendre sur Europe 1 les propos du président d'un groupe pour l'euthanasie dire en gros que tous ceux qui sont contre l'euthansasie ne sont que des intégristes religieux pro life et anti avortement (rient que ça...) qui font pression sur les politiques.

Ces propos m'ont particulierement agacé parce que sur ce sujet un débat apaisé est effectivement plus que nécessaire sauf que si on part comme ça, à hystérie contre hystérie (les gentil pro euthanasie contre les méchants pro life), on va droit dans le mur!

Ainsi pour ma part je ne suis surtout pas religieux ni pro life mais l'euthanasie me pose de sérieuses questions, parmi lesquelles :

- Quand sait-on exactement qu'une maladie, qu'un sequel est définitivement installé ? (je pense notamment aux "attaques cérébrales" dont la récupération peut prendre des années et n'est jamais franchement définitive... Ou aux maladies dégénératives à type Alzheimer ou parkinson : quand sait-on que là maintenant c'est définitivement insupportable?)

- Quel crédit doit-on accorder à un désir de mort sachant que par définition c'est une pensée de vivant (donc sujette à varier) ? Et si dans la foulée on estime le désir de mort comme légitime, devra-t-on s'interdire de réanimer les suicidants (alors que lorsqu'on met en place une réelle prise en charge la rechute baisse significativement)

- A qui doit-on donner la décision finale quand le patient ne peut pas s'exprimer?
Au médecin? (mais sur quelle base "objective" ? )
A la famille?   (Alors qu'on voit les ravages que ce genres de questions font dans les cas de dons d'organe? Est-ce qu'on peut leur demander d'assumer aussi ce poids là? Et si il y a héritage (oui c'est glauque comme vision des choses mais je connais un peu la nature humaine) ? ) 
Au juge ? (sur quelle base encore?)

Bref vous le voyez j'ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne vois pas de solution évidente parce que l'euthanasie demande d'évaluer pour soit (et pour les autres!) si le temps qu'il vous reste à vivre vaut la peine ou non d'être vécu... Et cela ne se résoudra surement pas entre hystérie, lutte de pouvoir et discussions de comptoir... Evidemment chacun sait clairement qu'il ne veut pas souffrir et souhaite mourir rapidement si il sait qu'il ne pourra pas être sauvé... Mais quand cette échéance arrive vraiment, qui fixera la limite? Dans quelles conditions? Êtes-vous si sur de vous? Pensez vous que ce sera aussi clair et evident pour vous? Pour vos proches?

Pour finir cette charmante discussion je voudrais juste vous parler d'une de mes patientes : Elle a fait un avc en 2000 et pour dire rapidement elle est grabataire depuis 10 ans. Sa fille s'occupe pourtant merveilleusement d'elle (avec une patience et des soins vraiment impressionnants) et biologiquement elle va bien et n'a aucune raison de mourir.

Alors evidemment je ne souhaite pour rien au monde vivre personnellement cette situation (ni en tant que patient ni en tant que famille). Mais aurait-on du euthanasier cette femme? Et quand? Et qui aurait du prendre la décision? Et sur quelle base?

Moi ça fait plusieurs années que j'y pense et je n'ai toujours pas de solution... Alors tous les discours radicaux (dans un sens ou dans l'autre) m'agacent franchement.


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