Qui se souvient des cuvées successives des Lions Indomptables jusqu'en 2000 ? L'équipe nationale comptait alors généralement deux ou trois "stars", entendez par là des joueurs évoluant dans des clubs européens, n'importe lesquels. On les appelait "les Professionnels" ce qui suffisait à faire leur gloire, qu'ils évoluassent à Gueugnon ou à Louhans-Cuiseaux. Les autres, ben, c'était le reste de l'équipe.
Qui se rappelle que nous étions béats d'admiration devant ces compatriotes qui parvenaient à signer des contrats pro "à l'étranger" ? C'était l'époque où des joueurs clés de l'équipe nationale évoluaient à Valenciennes (Eugène Ekeke, 1989-1992) ou au FC Laval (Omam Biyick, 1987-1990). Le sommet de nos ambitions à l'époque, c'était l'OM ou le PSG, et Joseph Antoine Bell qui fit les beaux jours de Bordeaux puis de Marseille était quasi un extra-terrestre. Personne n'osait alors songer à des équipes comme le Barça, Manchester United ou le Milan AC : c'était carrément le niveau intersidéral, inaccessible.
Aujourd'hui, la situation a radicalement changé. Nul ne songe plus à aller voir du côté de Bastia ou de Sedan, puisque la crème du football camerounais se trouve à l'Inter de Milan, chez Arsenal ou à l'Ajax d'Amsterdam. Il y a toujours quelques second couteaux, mais ceux-ci se recrutent dans des clubs qui hier constituaient le maximum de nos espoirs : Olympique de Marseille, Olympique Lyonnais, Tottenham Hotspurs, etc.
Les choses se sont faites progressivement : c'est Geremi Njitap qui a ouvert aux Camerounais les portes des plus grands clubs du monde, et qui nous a fait comprendre que nous pouvions prétendre à mieux que le championnat de France. Arrivant du Besiktas d'Istanbul dans les bagages de John Toshack, il apparut régulièrement dans l'effectif du Real Madrid dès 1999. Samuel Eto'o s'engouffra très vite dans cette brèche, mais il lui fallut attendre 2004 pour émerger au sein d'un club du top 5 mondial, le FC Barcelone. Entre-temps, il aura fait ses classes à Leganes et à Majorque. Le parcours de ces deux précurseurs (si l'on excepte le météore Georges Weah) a sans doute débloqué plusieurs carrières de joueurs camerounais, voire africains. Relevons au passage que Njitap fut le premier à utiliser son prénom comme dossard (Geremi), anticipant ainsi les difficultés que les commentateurs et le public allaient éprouver à prononcer son nom de famille (Njitap). Cet exemple sera suivi par plusieurs autres joueurs (Lauren, Romaric, Gyan, etc.) ce qui est loin d'être anodin.
La chose est donc entendue : il n'y a désormais plus de complexe, les footballeurs camerounais peuvent dorénavant accéder aux clubs du top 10 mondial. Certains en ont même connu plusieurs (Geremi au Real et à Chelsea, Eto'o au Barça puis à l'Inter). Et nos compatriotes font mieux que de la figuration dans leurs équipes respectives : ils sont souvent les hommes clés, ils participent aux victoires et gagnent des trophées.
A cet égard, cette année 2010 s'annonce exceptionnelle. Faisons nos comptes : Eyong Enoh, Samuel Eto'o et Rigobert Song ont remporté la semaine dernière la Coupe dans leurs pays d'accueils respectifs. Samuel Eto'o encore a toutes les chances de réaliser, avec l'Inter de Milan, le triplé CL-Coupe d'Italie-Calcio. Ce serait son deuxième triplé consécutif dans deux championnats différents : une performance exceptionnelle. Stéphane Mbia a déjà bouclé son doublé avec l'OM (Coupe de la Ligue et Championnat de France de Ligue 1). On pourrait ajouter à cette liste Edel Apoula (Camerounais malgré tout), vainqueur de la Coupe de France avec le PSG, et d'autres joueurs comme les deux compères de Tottenham (Assou Ekotto et Bassong) qui ont été déterminants dans les performances de leurs équipes cette saison.
Bref, l'ensemble des joueurs camerounais n'aura jamais été autant titré à un tel niveau de compétition. Et l'on se surprend à rêver d'un état de grâce qui se poursuivrait jusqu'au mois de juin, suivez mon regard. En effet, sur le papier, nous n'auront rien à envier aux meilleures sélections du monde en ce qui concerne le prestige des championnats et des clubs dans lesquels évoluent nos joueurs. Nous pourrons présenter sur le terrain l'Inter de Milan, Arsenal, l'Ajax, l'OM et Tottenham : la moitié de notre équipe sera issue du Top 20 mondial. Si le football était une arithmétique, on pourrait ainsi penser que nous aurions une équipe meilleure que toutes ses aînées.
Or, rien n'est moins sûr. S'il est vrai que nos joueurs ont le talent nécessaire pour briller aux sommets du monde du football, et que nous présenterons une sélection de joueurs auréolés de plusieurs titres nationaux et continentaux avec leurs clubs employeurs, il reste à bâtir une équipe, tant il est vrai que la solidité d'un mur dépend autant de la qualité du mortier que de la robustesse des pierres.
Et devinez où sera jugé le maçon ?