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L’Europe notre problème

Publié le 11 mai 2010 par Argoul

Le refus des marchés internationaux de continuer à financer les dettes d’Etat sans examen pousse l’Europe en construction dans ses contradictions. En effet : quelle Europe ?

Fondée après-guerre contre les idéologies totalitaires et pour la paix sur le continent, l’idée était que les intérêts économiques allaient créer avec le temps une solidarité de fait. D’où la CECA sur le charbon et l’acier, puis la CEE d’union douanière. L’étape suivante a été juridique et politique, il fallait consentir certains abandons de souveraineté pour établir des règles de vie communes par le droit. D’où Maastricht, ratifié in extremis puis Lisbonne avec ratification laborieuse, des années plus tard. C’est à ce moment que les contradictions sont apparues.

Elles étaient là dès l’origine mais chacun faisait semblant de ne pas les voir, pensant qu’avec le temps jeunesse se passe :

· Les Etats-Unis soutiennent un bloc militaire et culturel commun à leur botte où exporter – alors que les Européens se préfèrent non pas échangistes mais sociaux, non pas impériaux mais exemplaires. D’où l’insistance déplacée des Etats-Unis pour faire entrer la Turquie dans un ensemble qui n’y est pas prêt. D’où la pression Obama sur Merkel ce week-end du 8 mai, pour la création du fonds de soutien européen. 

· Les Anglais, îliens et fiers de leur nation, soutiennent une zone de libre-échange mais n’acceptent rien de ce qui vient d’ailleurs pour restreindre leurs libertés (fiscalité, droit du travail, monnaie, régulation financière, etc.) – alors que les continentaux ont été plus fédéralistes jusqu’aux années 2000.

· Les Allemands, rigoureux et fiers de leur monnaie et de leur qualité industrielle, ne veulent pas souffrir pour les autres et financer à crédit les déficits persistants et les dépenses clientélistes et improductives des pays du Club Med (dont la France, inventeur du club de vacances, fait donc implicitement partie) – alors que les pays latins préfèrent l’Etat redistributeur, adjudant de l’économie mais qui ferme les yeux sur les passe-droits et les fraudes des clans au pouvoir.

· Les Français voulaient poursuivre la révolution de l’universel au travers d’une Europe-puissance, alors que l’Hexagone devient très moyen à l’échelle du monde – ce dont les Allemands, vaccinés contre l’exportation des idéologies, ne veulent surtout pas et ce dont les Anglais se gardent comme de la peste. D’où l’appel au fédéralisme des Allemands jusqu’à Mitterrand, puis le repli sur soi avec la réunification, enfin le mépris pour les incapables, ces Etats démagogues qui dépensent plus qu’ils ne produisent.

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On a donc créé l’Europe en l’élargissant par préjugé sans prévoir les conséquences, agissant à l’envers en intégrant d’abord et en se rappelant qu’il faut organiser ensuite. Ce qui a dilué le sentiment d’appartenance des citoyens à l’ensemble, augmenté le taux d’abstention aux européennes, entretenu un climat délétère d’euroscepticisme en diluant la politique dans l’administration tatillonne.

On a donc créé l’euro sans les moyens institutionnels de gestion. L’euro est unité de compte commune, pas une monnaie-puissance : aucune convergence des économies, aucune politique économique commune (sauf l’agriculture et encore…), des fiscalités et des politiques sociales à l’opposé, aucun transfert entre régions, etc. Ce n’est que poussé aux fesses qu’un fonds de soutien structurel se met en place à grand peine, après 6 mois de tergiversations et 10 heures de négociations marathon ce week-end !

On a donc créé un « Machin » - comme disait de Gaulle de l’ONU – un monstre bureaucratique ingérable, bouffi, asthmatique, incapable de vision large et à long terme, qui met des mois à réagir aux crises parce que tout passe par chacun des 27 Etats avant de revenir à la bureaucratie bruxelloise.

Où sont donc les politiciens ? Disparus ! Depuis l’avancée de l’euro, l’Europe est en panne. Toute une lignée politique a laissé le sujet à la démagogie, confortant les égoïsmes nationaux de la génération gâtée. Nous sommes tombés de Mitterrand en Chirac, de Kohl en Merkel, de Delors en Fabius… Aucune volonté d’aller de l’avant, sauf pour conforter sa carrière ; des reniements permanents au nom des prochaines élections ; un manque de courage politique criant et une légèreté des conséquences inouïe. « Tiens, je vote non contre mon parti ! », « bof, yaka élargir on verra après », « oui la Turquie bien sûr, euh… », « mais j’ai des élections en Rhénanie ! » Tout cela au nom du politiquement correct, de l’idéalisme des fins - et pas de la conviction des peuples ni de l’économie réelle.

L’Europe aujourd’hui est une population qui vieillit plus qu’ailleurs, dont l’économie a moins de croissance qu’ailleurs, dont les Etats redistribuent plus qu’ailleurs et qui s’est collée une bureaucratie plus lourde qu’ailleurs. Quand il n’y a pas d’impulsion politique, c’est l’administration courante qui commande. Comparez l’Europe des 27 aux Etats-Unis des 50 ou la Chine du seul parti unique – vous comprendrez la différence ! De là à penser que le parlementarisme – comme dans les années 30 – est un régime poussif et pourri qui accouche de souris, il n’y a qu’un pas…

Le problème de l’Europe est son fonctionnement, ensuite sa croissance, enfin sa dette. Aujourd’hui, la crise de remboursement grecque fait prendre le problème européen à l’envers. C’est sa queue qui remue la chienne Europe parce que les politiques n’ont pas fait leur travail. Les institutions européennes sont indigentes, la monnaie bancale sans gouvernement économique commun, la croissance non assurée par la recherche, l’encouragement à l’innovation, les réformes structurelles, les réglementations trop rigides et obsolètes, l’Etat-providence hypertrophié incapable de se financer sans handicaper la croissance, l’exclusion des jeunes et des seniors non retraités. Chacun fait cuire sa petite soupe, à petit feu, dans son petit coin. Quelle Europe ? On se demande…

Une fois de plus avec la dette grecque on attend le dernier moment, la crevaison avérée, pour appliquer des rustines provisoires. Après les Grecs (sur 2 ans et à conditions qu’ils acceptent socialement le plan et qu’ils le tiennent politiquement !) : qui ? Les Portugais, les Espagnols, les Irlandais, les Italiens, les Français… Merkel est lamentable (elle s’est fait ramoner par Obama par deux fois en 48 h), les autres pays commencent à renâcler vant de consentir à “garantir” (pas payer!), les oppositions allemande et française n’ont rien à dire.

Tant pis pour la gôch caquetante qui bat des ailes sans jamais s’envoler : si Sarkozy est peu efficace en interne parce qu’il parle plus qu’il n’agit, il est efficace au niveau européen où c’est la magie du verbe qui entraîne les gouvernements ! Est-ce un Fabius qui serait capable de jouer les Delors ? Dirons-nous dans quelques mois que ce sont Sarkozy et Obama qui ont sauvé l’Europe ce week-end ? Ce n’est certainement ni Merkel, ni Brown, tous deux empêtrés dans l’électoralisme à courte vue (et de toute façon condamné à perdre pour indécision, cette plaie de la démagogie). Ce ne sont ni Berlusconi, ni Zapatero, ni ce qui reste des politicards Belges, ni les Polonais sans tête… Seulement Sarkozy… et Obama.

Car cette crise de l’Europe est une crise de la social-démocratie. La mondialisation est libérale et le libéralisme émancipateur des Lumières a été gauchi en redistribution d’Etat, les devoirs de citoyens rigidifiés en droits d’assistés - surtout dans les pays latins. Ce modèle des années 1950, formaté pour des Etats souverains aux frontières définies, éclate avec la volonté d’union européenne et le fait des échanges mondiaux. Certains rêvent d’un retour à l’autarcie, les souverainistes qui mettraient les immigrés dehors ou certains à gauche qui rêvent d’enfermer les riches pour les faire payer tout en instaurant des taxes aux frontières pour protéger l’emploi. Le PS français, ce laboratoire de la schizophrénie nationale, n’est-il pas partagé entre le clan Aubry/Fabius, caporal-socialiste, et le clan DSK/Valls plus orienté vers le modèle scandinave ?

Interrogeons-nous cependant : dans quel monde vivons-nous ? Celui du XIXe, des colonies, de la prédation et des canonnières ? Ou au XXIe, interconnecté par les avions, le commerce et Internet ? Notre bon format mondial de nos jours est celui de l’Europe. Dont le cœur est franco-allemand. Dont les frontières doivent être établies pour organiser la zone. La social-démocratie doit se réformer, comme les Scandinaves ou les Canadiens l’ont réussi, ou bien elle éclatera au profit de régimes soit plus libre-échangistes, soit plus autoritaires. Au détriment de la solidarité, de la croissance et du bien-être dans les deux cas !


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