La crise s’estompe. Au-delŕ du court terme, les perspectives sont encourageantes.
Tom Enders reconnaît volontiers que l’année 2010 sera difficile, que les prises de commandes ne dépasseront pas 250 ŕ 300 avions. Mais les succčs engrangés précédemment correspondent ŕ cinq ans de production, au rythme actuel. Reste, bien sűr, ŕ absorber les difficultés de l’A400M et ŕ conforter le programme A380. Entre-temps, A320 et A330 se portent bien, l’A350XWB a bien démarré et, de toute évidence, ils compensent les difficultés qui se sont accumulées récemment.
Les projets sont nombreux, les développements en cours nombreux. Il s’agit de réussir le démarrage industriel de l’A350XWB (270 ŕ 350 places selon les versions), réponse musclée des Européens au Boeing 787. Trente-trois compagnies en ont commandé 530 exemplaires sur catalogue, un bon début. Ensuite, il conviendra de conforter l’avenir de la famille A320, dans le cadre d’un poker menteur inédit avec le grand concurrent américain. Et, enfin, il s’agit de faire passer l’A380 ŕ la vitesse supérieure.
Richard Carcaillet, directeur du marketing de l’A380, affiche un bel optimisme. Les principaux défis sont derričre nous, a-t-il dit haut et clair aux participants d’un séminaire annuel intitulé Airbus Innovations Days, qui se tient outre-Manche. Une vingtaine d’appareils devraient ętre livrés cette année, un objectif qui tend ŕ confirmer que les derniers problčmes de production sont enfin en passe d’ętre résolus. Les premiers utilisateurs se déclarent satisfaits, d’autant que le trčs gros porteur suscite l’attrait des voyageurs au long cours. A terme, la cadence de production passera ŕ trois avions par mois, moins cependant que l’objectif initial de quatre, pour cause d’accident conjoncturel et non pas désintéręt des acheteurs potentiels.
Les dirigeants d’Airbus sont d’ailleurs passablement agacés par des propos tenus récemment outre-Atlantique selon lesquels l’A380 ne répondrait pas aux espoirs commerciaux de son constructeur, avec 202 commandes ŕ ce jour et aucun contrat signé depuis de nombreux mois. L’agence Bloomberg, par exemple, vient d’affirmer le plus simplement du monde que le gros quadriréacteur ne se vend pas. Ce qui sous-entendrait que la thčse de Boeing selon laquelle l’avenir est plutôt ŕ la multiplication des lignes directes serait la bonne. Cela par opposition de la thčse Airbus, basée notamment sur l’urbanisation galopante de la plančte Terre.
John Leahy, le charismatique gourou commercial d’Airbus, prévoyait de placer tout au plus une dizaine d’A380 cette année, une période de lente convalescence pour la plupart des grandes compagnies. Comme pour défier Bloomberg, il a doublé son objectif !
Toutes proportions gardées, le Ťcasť A320 est autrement plus complexe. Lancé en 1984, il est devenu un succčs planétaire : 4.254 exemplaires livrés ŕ ce jour, 2.292 en commandes. Légčrement réduite pour cause de récession, la cadence de production va remonter ŕ 36 exemplaires mensuels dčs la fin de l’année et, dit John Leahy, il est męme envisagé de passer ŕ 38. Mais l’essentiel est ailleurs : faut-il prévoir une cure de Jouvence pour la famille A320, notamment en la dotant de moteurs de nouvelle génération ? Ou, tout au contraire, imaginer un avion entičrement nouveau qui entrerait en service au plus tôt dans 10 ou 15 ans ? Les deux hypothčses se défendent, le cas de conscience étant identique chez Boeing pour la lignée 737.
Les deux rivaux s’observent en męme temps qu’ils sont courtisés par les grands motoristes et sollicités par quelques-unes des compagnies qui donnent le ton ŕ l’industrie des transports aériens tout entičre. L’enjeu est d’importance mais chacune des deux parties n’évoque publiquement qu’une partie de sa vérité, concurrence oblige. Les projets des Russes, des Chinois, n’émeuvent pas grand monde. Mais le programme C.Series de Bombardier justifie critiques et incrédulité de John Leahy, ce qui constitue sans doute un sujet de satisfaction pour Bombardier. L’industriel québécois y verra sans doute la preuve qu’il a vu juste en lançant cet appareil susceptible de gęner l’A319 (et le 737-700).
Entre-temps, autre valeur sűre de l’avionneur européen, le long-courrier biréacteur A330 continue d’accumuler les succčs (1.060 exemplaires vendus), est produit au rythme soutenu de huit exemplaires et demi par mois et vient de donner naissance ŕ un dérivé cargo. Lequel est similaire, d’un point de vue cellule, au ravitailleur en vol que le groupe EADS va présenter au Pentagone dans le cadre de l’appel d’offres KC-X.
La stratégie des Européens en cette matičre sensible ? Tom Enders répond instantanément : Ťgagner ŕ nouveau !ť Cela sachant que le tandem Northrop Grumman/EADS l’avait emporté avant annulation et retour ŕ la case départ. C’est peut-ętre le défi le plus risqué ŕ relever dans les prochaines semaines. Une victoire des Européens déclencherait ŕ coup sűr l’ire de nombreux politiques américains et d’une bonne partie de leurs électeurs, animés par un solide patriotisme économique. Ce serait une provocation en męme temps qu’un succčs symbolique. Un scénario plausible, certes, mais sans plus.
Quel que soit l’épilogue, le fait est qu’Airbus a repris des couleurs, aprčs avoir traversé des moments difficiles, mais sans jamais perdre confiance. Le doute n’est plus permis depuis que Toulouse fait jeu égal avec Seattle.
Pierre Sparaco - AeroMorning