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22e livraison

Publié le 06 novembre 2007 par Coquenart
- La superstition est l’une des plaies de notre époque, dit mon maître en jetant un coup d’œil vers moi.
- Vous comprenez d’autant mieux la stupeur et la colère provoquées par sa mort dans la région. Personne, en Anjou, n’aurait eu le courage de tuer un homme révéré depuis tant d’années qu’il en était devenu presque intouchable. Et vous savez probablement déjà les conséquences de cette mort.

- Oui, Excellence.
- La population a réagi par la terreur. Elle crie qu’elle n’est plus protégée, elle en appelle à la justice du roi. Le comte était respecté dans la contrée, et malgré sa sévérité, les paysans le considéraient comme un bon seigneur, point trop exigeant, mais cependant, un peu trop enclin, de mon point de vue, à considérer les vieilles instances féodales comme encore en place.
Après un silence, il reprit :
- Comme je l’ai déjà dit, il était fort catholique…
Il est vrai que le baron de Rosny, lui, était, de notoriété publique, fort protestant.
- Ce qui désigne les Huguenots comme des coupables tout trouvés, en compagnie des quelques membres des sectes locales.
Le baron poussa un nouveau soupir.
- Entendez-moi bien, Coquenart, je dispose bien évidemment d’assez d’hommes pour ramener le calme, là n’est pas la question. Mais il faut – et c’est là le point capital, et je ne peux transiger là-dessus – il faut, dis-je, éviter à tout prix le bain de sang, qui pourrait être récupéré par les ennemis du roi. Or, ce n’est pas à vous que je vais apprendre que de telles émeutes, provoquées par les passions les plus dangereuses des hommes, peuvent s’étendre aussi vite et aussi loin qu’une traînée de poudre. Et ici, les Huguenots se trouvent directement menacés.
L’affaire commençait à m’apparaître sous un nouveau jour. Elle risquait de troubler de manière durable la paix civile, à un moment où notre roi prônait le retour à l’ordre.
Le baron reprit, d’un air plus las :
- De plus… De plus, d’après les messages que j’ai reçus du lieutenant Du Verger, le lieutenant criminel de la région, les conditions du meurtre sont proprement inexplicables… vous comprenez qu’il n’en faut pas plus pour que les plus folles rumeurs se répandent… Malédictions divines, interventions diaboliques…
Au fond, pensais-je, ce Du Verger avait peut-être raison. Qui sait ce qui se passe au fond de ces campagnes reculées ? J’ai toujours une sainte répulsion pour toutes les manifestations démoniaques, et Dieu sait quelle est la puissance du Diable. Puissé-je n’avoir jamais à l’éprouver…
Mais j’eus bien vite honte de mes craintes, lorsque j’entendis Rosny s’écrier :
- Sornettes et balivernes, bien sûr que tout cela ! Mais allez sortir l’idée d’une malédiction de la tête des gens, une fois qu’elle y est entrée. Vous comprenez, Coquenart, pourquoi il nous faut un coupable, et vite !
- Il vous faut un coupable, Votre Excellence ?
Rosny regarda mon maître d’un air grave.
- Il nous faut le coupable, maître Coquenart.


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