Rome (suite)

par Chambolle

Ouvert tous les jours, sauf le dimanche comme vous en informe une plaque apposée à gauche de la porte d’entrée, Da Giovanni reçoit indifféremment l’artisan voisin, le retraité de l’administration en gilet tricoté main, les couples d’employés avec ou sans enfant(s), les apprentis peintres, sculpteurs ou graveurs venus s’exercer à la Farnesine ou au Palazzo Corsini et les, rares, touristes qui ont osé poussé la porte de l’établissement. Précisons immédiatement que, contrairement à ce que l’énumération précédente peut laisser supposer, les capacités d’accueil de l’établissement sont des plus limitées. Une petite vingtaine de couverts dans la “grande” salle et sept ou huit autour de la table d’hôte, réservée aux habitués et qui est installée dans le passage menant à la cuisine. La déco est d’un éclectisme réjouissant. Reproductions de photos anciennes, trumeaux peint par un artiste des années 50 du dernier siècle (date approximative de l’ouverture de la maison) et divers tableaux à prétention modernistes dont une Madone du Trastevere entourée d’une inscription due à son auteur . L’artiste y souligne la vocation écologico-sociale et anticléricale de son œuvre.

Mais il est temps, pensez-vous, d’en venir au fait car on ne mange pas plus les fresques modern’style que les œuvres des avant-gardes picturales fussent-elles dédiées à la défense de la planète. Vous avez raison. D’ailleurs l’unique et diligent garçon qui assure le service, le placement des clients et la conversation avec la clientèle régulière vous a déjà installé à la table du fond à gauche (d’où vous pouvez, sans vous tordre la tête, admirer la collection de bouteilles qui, sur une étagère, complète le trumeau évoqué plus haut). En même temps il vous a glissé la carte que vous ouvrez avec un soupçon d’inquiétude (et si Chambolle s’était moqué de nous ?). Gens de peu de foi. Un regard suffira à vous détromper. Le menu est certes succint mais il est écrit à la main (par le patron qui vient d’arriver et dont nous reparlerons plus loin) et il change non seulement tous les jours mais à tous les repas.

Pas ou peu d’antipasti, mais des pâtes comme on n’en mange qu’ici, des plats de viande et de poisson aussi rustiques que solides, absolument dénués de malice et doués de cette sorte d’honnêteté qui assure une digestion paisible aux plus grincheux des estomacs. Les desserts sont réalisés sur place ce qui donne, entre autres, des torta di melle sans reproche. Les vins, Castelli Romani en blanc, Chianti en rouge, ont eux aussi une moralité exemplaire. Enfin, détail trivial mais important, les additions sont d’une modestie trop souvent oubliée de notre côté des Alpes. On paie donc son dû au patron l’âme légère et on lui pardonne bien volontiers d’être arrivé dans son restaurant, dix bonnes minutes après vous, lesté de ses sacs de provisions (mais quelle fâcheuse idée vous avez eu, d’arriver à midi et quart sous le fallacieux prétexte qu’un écriteau indique que l’antica osteria est ouverte de 12h00 à 14h30). Pendant qu’il additionne ses chiffres, je vous invite à profiter de la vue plongeante sur la cuisine ou s’affaire la Cheffe (le C majuscule est mérité). Elle a la quarantaine avenante ne se laisse pas marcher sur les pieds qu’elle a solides et interrompt rituellement le travail vers midi et demi et une heure et quart pour des pauses cigarettes et causettes avec les voisines. Ces interruptions ont pour conséquence des suspensions du service. Elles permettent au reste du personnel de souffler un peu et à la clientèle d’échanger, en toute quiétude, ses idées générales et particulières. Son mégot terminé, la Cheffe reprend le collier avec enthousiasme et tout se remet en train à la satisfaction générale.

Comment conclure ? N’ayant pas de citation latine sous la main, ce sera avec des vers (de mirliton, je n’en ai jamais écrit d’autres).

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Et de Pizingrilli a goûté les jambons
Puis chez Da Giovanni déjeuna sans façon.
Est-il meilleur moyen pour devenir plus sage ?

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