Le dossier des ravitailleurs américains sent le souffre
Deux hommes politiques américains de choc viennent de tirer un missile en direction d’EADS : reprenant une théorie déjŕ évoquée ŕ Washington, ils demandent officiellement que le Pentagone prenne en compte le fait que les productions Airbus sont largement et illégalement subventionnées par les gouvernements européens. Une pratique dont bénéficierait l’A330 dont est directement dérivé l’appareil que proposent les Européens dans le cadre du programme KC-X.
On n’imagine rien d’une telle violence de ce côté-ci de l’Atlantique. Le sénateur Sam Brownback et Todd Tiahrt, membre du Congrčs, tous deux républicains texans, estiment que l’administration Obama a choisi Ťde placer les intéręts des travailleurs européens au-dessus des intéręts des travailleurs américainsť. Pour sortir de l’impasse, ils proposent que le prix du ravitailleur européen soit augmenté de la part des subventions qui lui est propre.
Brownback et Tiahrt comptent de nombreux émules, y compris dans le camp démocrate, ŕ commencer par l’inénarrable Patty Murray. Cette derničre, tonitruante élue de l’Etat de Washington, a repoussé de longue date les limites de la mauvaise foi politico-industrielle et on en arrive ŕ se demander comment elle peut encore ętre prise au sérieux. La réponse ŕ cette question est pourtant simple. Il s’agit de l’expression emphatique d’un patriotisme économique au demeurant compréhensible, mâtiné de sentiments hostiles vis-ŕ-vis des Européens en général, des Français en particulier. Le tout exacerbé par un manque de connaissance des dossiers, l’absence flagrante de culture générale au sein de l’opinion publique et les peurs ancestrales nées de la stratégie Ťsocialisteť qui prévaut ŕ travers le Vieux Continent. Les Européens croient, ŕ leur maničre, aux vertus d’ interventions étatiques dans l’économie, une maladie pernicieuse.
Le seul mérite de Brownback, Tiahrt et leurs amis est d’avoir réussi la synthčse de ces peurs. Ce qui leur permet aussi, entre élus républicains tout au moins, d’alimenter leurs incessantes critiques vis-ŕ-vis de Barack Obama, lequel, par exemple, a l’outrecuidance d’imposer aux Etats-Unis un systčme de protection sociale ŕ la française, pire, Ťsocialisteť. EADS et Airbus n’avaient évidemment pas imaginé qu’ils seraient précipités au cœur d’un tel cyclone !
On est en droit de s’interroger sur l’absence de contre-attaque ŕ la mesure de l’offensive en cours. Certes, de temps ŕ autre, il est dit que le Boeing 787 est l’avion le plus généreusement subventionné de l’histoire de l’aviation civile. Ce qui fait tout au plus sourire les Américains qui préfčrent dénoncer Ťle consortium étatique français Airbusť (sic) et son intention de proposer l’A330-200 MRTT/KC-45 en-dessous de son prix de revient, les contribuables se chargeant de faire l’appoint.
Dans cet environnement tragi-comique, le retrait de Northrop Grumman continue de faire l’objet de ce qu’il est pudiquement convenu d’appeler des commentaires en sens divers. Partenaire puissant et dynamique d’EADS tout au long de l’épisode précédent, l’industriel californien a choisi de renoncer en avançant un prétexte étonnamment léger : le nouvel appel d’offres du Pentagone privilégierait le Boeing KC-767, au point que ce ne serait pas la peine de formuler une proposition concurrente. Y a-t-il eu menace de mesures de rétorsions ? Sans doute ne le saura-t-on jamais.
Au fil des jours, on constate que le tandem EADS/Airbus ne réussit pas ŕ redresser son image ou, plus exactement, ŕ rétablir la vérité. A savoir qu’il est résolument multinational, et non pas exclusivement français, que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel n’y font pas la pluie et le beau temps. Ou encore qu’EADS est tout aussi préoccupé de retour sur investissement et de rentabilité solide que l’est Boeing. Une évidence qui a bien du mal ŕ traverser l’Atlantique.
Pierre Sparaco-AeroMorning