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La financiarisation des prisons, et pourquoi pas?

Publié le 13 mai 2010 par Tnlavie

La financiarisation des prisons, et pourquoi pas?

Qui a dit qu’on ne pouvait pas faire de l’argent avec tout?

Ce processus de libéralisation voulu par nos dirigeants nationaux et européens et piloté en sous main par les lobbies du privé atteint même le commerce très lucratif de l’incarcération. Nous allons décidemment de désillusion en désillusion…

Alors que des pans entiers du secteur public ont été privatisés depuis une vingtaine d’année au profit de grands groupes privés, seuls véritables “créateurs de richesses”, dont les profits ne sont redistribués qu’à un petit nombre, cette logique de transfert au privé touche désormais ce que l’on considérait jusqu’à présent comme des missions régaliennes de l’Etat.
Autoroutes, électricité, gaz sont désormais dans le giron du “secteur marchand”, en attendant La Poste, l’Education…et la Santé.

Soyez donc devant votre téléviseur le 12 juin sur Arte pour visionner le reportage  ”Prison Valley”, road-movie tourné dans une vallée du Colorado où l’économie repose uniquement sur « l’industrie carcérale ».  36.000 âmes, 7731 détenus dans 13 prisons, dont “Supermax” et ses couloirs de la mort, décrite comme la nouvelle Alcatraz, basé sur la privation sensorielle. Comme on l’apprend dans la bande-annonce, l’avantage de cette industrie c’est qu’elle ne sera jamais touchée par aucune crise économique…

Il faut savoir qu’aux USA les prisons, privatisées, constituent un rouage de l’économie nationale.
La population des États-Unis représente 5% de la population mondiale, la population carcérale américaine représente 25% de tous les détenus du monde… Cherchez l’erreur!!!  1 personne sur 100 est incarcérée aux Etats-Unis. Sans compter la progression de cette population carcérale : 300.000 en 1972, 1 million en 1990, 2 millions en 2000 et 2,3 millions en 2009. On peut dès lors chercher des raisons à cette explosion du nombre de prisonnier… l’exclusion sociale, la pauvreté ?

On peut aussi regarder du coté de l’organisation et la gestion des centres pénitenciers. De plus en plus de prisons sont maintenant construites et gérées par des entreprises privées. En France, on appelle ça des PPP : Partenariats Public-Privé créés inocemment par la loi du 2 juillet 2003. En France, depuis 1987, des entreprises privées co-gèrent une vingtaine d’établissements pénitentiaires français. Ils ont été construits en France par Vivendi, la Lyonnaise des Eaux ou Dumez et sont gérés de manière rentable par Sodexho, Eurest, Gecep, Gepsa.

Le partage des tâches est simple :

- le “service public” établit la légalité, juge, régule les flux d’entrée et de sortie de prisonniers, paye un loyer au “service privé” (le contrat prévoit que l’Etat deviendra propriétaire des prisons dans 27 ans et paiera entretemps un loyer de 48 millions d’euros annuels, tout en gardant à sa charge les surveillants…)

- les entreprises empochent le loyer et les frais de gestion (avec une marge confortable…), le “prix de journée” pour l’entretien (minimal) des prisonniers, les sur-bénéfices de la “cantine” (tous ce que les prisonniers peuvent acheter -papier hygiénique, cigarette, savon, enveloppes, extra de nourriture…- vendu évidemment beaucoup plus cher qu’à l’extérieur) et les sur-bénéfices du travail des prisonniers (tenus au rendement et payés 25% du SMIC en France, 50 dollars par mois aux USA). 

Les prisonniers, jusque-là soumis au seul pouvoir du directeur de prison, ont avec le PPP une double autorité. La première contrôle toujours l’application administrative de la peine, l’autre régit la logistique, le quotidien déjà difficile de la détention.

On est loin de l’univers de Prison Break… Mickael Scofield n’aurait jamais pu s’évader dans ces conditions, harassé par une dure journée de travail… ;-)

De ce point de vue, la prison constitue l’équivalent d’une délocalisation de la production… les frais de déplacement en moins. Du coup de nombreuse entreprises américaines y ont vu une solution très opportune pour éviter les frais de délocalisation en Chine ou en Inde : IBM, Boeing, Motorola, Microsoft, ATT, Wireless, Texas, Dell, Compaq, Honeywell-Packard, Nortel,TWA. En France, L’Oréal, Bouygues, EADS, Yves Rocher, BIC…  ont conclu ainsi des contrats -sous couvert d’aide à la réinsertion et à la formation- pour bénéficier d’une main d’œuvre vraiment pas cher: un détenu est payé souvent à la pièce (ce qui est illégal en France) entre 200 et 300 euros par mois, bien sur sans aucun droit ni aucune protection sociale.

Dans  l’Humanité du 14 octobre 2009, Anne Roy écrit ce qu’elle a pu voir au centre pénitentiaire de Châteauroux. Elle décrit la réalité du travail en prison : “Tâches abrutissantes, salaires de misère, aucun contrat de travail ni emploi du temps fixe, pas « le droit de l’ouvrir » encore moins celui de se syndiquer : le travail pénitentiaire est du pain béni pour les entreprises, qui arrivent à s’accommoder des contraintes logistiques liées à la sécurité, aux petites unités, et d’un rendement parfois moins bon qu’à l’extérieur. Petit bémol  : la clientèle ne doit pas savoir que ce qu’elle achète a été assemblé en prison. Alors, pendant la visite, le surveillant chef prévient : les marques devront être gommées des photos qui seront prises pendant le reportage. « Les entreprises sont soucieuses de leur image, certaines ont licencié et fermé dans la région pour relocaliser leurs activités ici, elles n’ont pas très envie que ça se sache », justifie-t- il.

L’Observatoire International des Prisons dénonce haut et fort cet esclavage moderne légal : « Non seulement les prisons en France détiennent le triste record européen du nombre de suicide, mais elle a déjà été condamnée par l’Europe pour des conditions inhumaines d’incarcération (surpopulation, hygiène, droits des détenus). Dans les prisons, les détenus qui travaillent sont dans des zones de « non droit ».”

Le business entourant les prisons est donc devenue un rouage de l’économie au dépend d’une branche vulnérable de la société. Rappelons la forte proportion de troubles mentaux chez les incarcérés.
La CGT Pénitentiaire et FO estiment que l’Etat doit reprendre la gestion des prisons plus directement : “Nous étions opposés à ce type de privatisation, car ça coûte très cher à l’Etat, il serait simplement bien de rappeler au privé ses obligations dans le cadre de la gestion déléguée”.

Grâce à un accroissement progressif -et d’ailleurs programmé- de la population carcérale, le système atteindra certainement une forte rentabilité. De la à entretenir l’insécurité, il n’y a qu’un pas. Comme le déclare un certain Frank Smith, un des inventeurs de la “prison lucrative”, où l’on gagne de l’argent sur la durée du séjour et qui déclare, grisé, “c’est ce qu’on appelle le prolongement du rêve capitalistique!”

Un rapport de l’Institut Montaigne intitulé « Rendre la prison utile » plaide pour le travail obligatoire (comme dans de nombreux pays européens) et pour la signature d’un contrat entre le prisonnier et l’employeur relevant du droit administratif. C’est bien le moins.

Au menu de ce webdocumentaire Prison Valley:

  • Qu’est-ce que l’incarcération de masse ?
  • Quelles sont les conséquences d’une politique sécuritaire ?
  • D’où vient la peur et à quoi sert-elle ?
  • Lier rentabilité, emplois et justice : quels enjeux pour nos sociétés ?
  • Le travail des prisonniers,
  • Le système de la privatisation carcérale,
  • Supermax : le Guatanamo du Colorado,
  • Colorado State Pentionary 2 : prison high tech et déshumanisation (contacts avec l’extérieur par webcam, sortie de cellule 45mn par jour).


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