Point de vue paru dans L’Humanité du vendredi 14 mai 2010
La solidarité avec les Grecs, ces truqueurs, ces galeux ? En voilà une idée ! On nous l’a bien expliqué : Zorba ayant dansé tout l’été, il doit se mettre au pain sec et à l’eau, maintenant que la bise est venue. Pourquoi les Européens devraient se sacrifier pour payer les excès de voisins dispendieux et inconscients ?
A bien y réfléchir, cette question n’est pas propre à la crise grecque. Elle est posée encore et encore, sous d’autres formes, à tous les niveaux de la vie sociale et politique, internationale mais aussi nationale. Pourquoi les travailleurs du privé devraient supporter le coût du secteur public, les actifs celui des chômeurs, les habitants des centres celui des banlieues ? Chacun chez soi et l’argent sera bien gardé.
Ce type de raisonnement est le meilleur allié du maintien en l’état du système économique actuel, que tout le monde promettait pourtant de remettre à plat au moment de la crise financière. On crée des boucs émissaires faciles pour éviter toute réflexion d’ensemble sur le système, et mieux le préserver. A la fragmentation des classes moyennes et populaires à l’intérieur d’un même pays, répond la mise en concurrence de ces mêmes classes d’un pays à l’autre, pour enfermer chacun dans son isolement et sa passive impuissance. En découpant les populations comme du salami et en dressant chaque tranche contre les autres, on désarme le mouvement social et toute velléité progressiste.
Nul ne prétend que les intérêts immédiats du plombier polonais, du fonctionnaire grec et des différentes catégories de salariés français sont les mêmes ; mais cela n’empêche en rien qu’ils puissent se retrouver autour d’un projet de société commun, d’une même conception des droits sociaux élémentaires, à défendre ou à conquérir. C’est ce qui fit la force de l’internationalisme de gauche au siècle dernier.
Cet internationalisme, de même que la capacité, au niveau local, à fédérer des couches sociales qui ne se fréquentent pas ou plus, exige un effort sur soi : celui de se projeter en dehors de sa situation personnelle, pour se mettre à la place de l’autre et considérer qu’il appartient au même monde que nous. Qu’il mérite le même respect que nous, qu’il peut partager nos revendications, et que nous pouvons agir de concert avec lui pour changer ce monde. Petite révolution psychologique et politique qui nous permettrait de nous extirper de la morosité actuelle. Et si pour une fois les fourmis faisaient front commun avec la cigale Zorba ? Ce qui leur éviterait peut-être d’être les prochaines cigales dans le viseur du FMI.
Romain Pigenel
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Un Pearltree sur les agences de notation dans la crise grecque :