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Zahia, cet obscur objet du désir

Publié le 13 mai 2010 par Variae

Mardi, une lettre de call girl (?) implorant Raymond Domenech de ne pas priver de Mondial ses supposés clients a été publiée par l’Express et largement reprise par toute la presse en ligne dans la foulée – on ne parle pas (seulement) de Gala ou de Match, mais bien de Libération ou du Nouvel Observateur. Il y a parfois des événements tellement énormes que l’on ne voit même plus, tant que l’on a le « nez dessus », combien ils sont, justement, énormes. Scan de lettre avec adresse (mal) floutée, mystère autour des moyens employés pour se « procurer » le document, on pourrait croire que le newsmagazine qui a accueilli, en d’autres temps, la plume de Mauriac ou celle de Sartre, va nous exhiber un document explosif dans le cadre de l’affaire Clearstream ou de l’attentat de Karachi … mais non ! Il n’y a rien de plus urgent en mai 2010, faut-il croire, que de relayer ce qui est au mieux un énième et anecdotique épisode d’une affaire de mœurs, au pire une manipulation médiatique malveillante.

Zahia, cet obscur objet du désir

On pourrait disserter sans fin sur la dérive d’une presse (et notamment de son pendant online) en crise, prise dans une course de vitesse avec les nouveaux canaux d’informations en temps réel et tombant dans le piège de la course au scoop, pardon, au buzz. Disserter sur cette presse qui ne s’embarrasse même plus de la présomption d’innocence et se réfugie de façon hypocrite derrière son « devoir d’informer » (à géométrie variable) pour faire son miel de fuites judiciaires. Mais ce serait peut-être passer à côté de la dimension particulière de l’affaire Zahia.

Car le feuilleton Zahia & Les Bleus, c’est aussi, voire d’abord, un beau témoignage sur le puritanisme tartuffe qui règne sur notre beau pays. Tout au long des semaines de cette scabreuse série, on a vu la presse s’emparer d’un sujet racoleur – sex, foot et fric – en en mesurant parfaitement le potentiel vendeur, tout en ne traitant le sujet que sous l’angle de la morale et des vertueuses indignations sur la prostitution. Regardez comme c’est horrible ! Regardez bien ! Regardez un peu mieux encore ! Vous être sûrs que vous avez bien vu combien c’est horrible, vous ne voulez pas regarder encore un peu ? Le tout alors que circulent sur Internet des photos dénudées ou « explicites » de la jeune femme. Bien sûr ces photographies ne sont pas reprises dans les titres sérieux. Mais ceux-ci profitent à plein de leur diffusion, qui entretient la flamme, si on peut dire. Dans un tel contexte, même, chaque article fait implicitement fond sur elles. A dire vrai on préférerait encore que les clichés les plus hot soient publiés à la une des sites d’information – l’opération aurait, au moins, le mérite de la franchise. Mais non, il faut même supporter les lames de crocodile de l’Express, qui s’étend, dans l’article de présentation de la lettre au sélectionneur de l’équipe de France, sur le “désarroi” et “l’isolement” de “l’ancienne élève en esthétique”.

A un moment où l’on vante quête de sens, sérieux, politique de civilisation, avec en arrière-plan une libération sexuelle mal digérée, Zahia fascine. C’est la pure femme-objet, une série d’images salaces que l’on regarde discrètement sur son ordinateur ; une femme muette, apparue de nulle part, dont les seules paroles s’égrainent dans une interview de Paris Match, ou sur le papier de la fameuse lettre à Domenech. Sa blondeur artificielle, ses tenues à faible pouvoir couvrant, son passé de participante à la télé-réalité, sa quête de l’argent rapide via le tapinage VIP, sa vie nocturne dans le triangle d’or du 8ème arrondissement ; c’est l’incarnation du bling bling, que l’époque réprouve bruyamment. Sauf que la répulsion s’accompagne souvent d’une attraction secrète et un peu honteuse. On en voit le résultat aujourd’hui.

Difficile, par ailleurs, de ne pas prendre conscience de la part de mépris et de cynisme hautain dans les réactions et commentaires. On publie une lettre parfaitement écrite de la protagoniste, tout en précisant l’air de rien qu’elle est assistée par une “cellule de communication” (vous ne pensez quand même pas qu’elle puisse savoir écrire correctement ?). On précise qu’elle met “son plus beau jogging” (sic) pour venir à une interview (ah ces sauvageonnes !). On s’acharne sur le football, sport populaire, trop peut-être, qu’il est tellement chic d’opposer aux « valeurs » du rugby. On met en avant un joueur à la gueule cassée, histoire d’orchestrer un storytelling façon Affreux, sales et méchants. On explique que les footballeurs sont frappés d’une libido déviante, conséquence du dopage et de l’argent-roi – sans doute que l’un et l’autre n’existent nulle part ailleurs dans le sport … Probablement affirmera-t-on aussi que la prostitution ne fleurit que dans le monde du ballon rond !

Chacun pourra se demander, enfin, si Zahia serait devenue un tel phénomène médiatique si elle s’était prénommée Julie ou Véronique. S’il y aurait eu autant de visible délectation à prononcer encore et encore son nom. Si la mise en avant répétitive de cette beurette décolorée en blonde et vendant ses charmes, au moment où se développent parallèlement des polémiques sur la burqa et la polygamie, tient du simple hasard … Ou s’il n’y a pas une volonté, consciente ou inconsciente, de construire un contrepoint à ces femmes voilées, entre grivoiserie gauloise et fantasmes d’exotisme.

En somme, si cette auxiliaire très spéciale de l’équipe de France est révélatrice de quelque chose, c’est peut-être bien plus des tabous et des obsessions de notre époque (et de la morale ambiante), que des arcanes du football et de la prostitution.

Romain Pigenel


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