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Tertullien, Le Traité "Aux Martyrs", avec le commentaire du Père S. Pinckaers 1

Publié le 16 mai 2010 par Walterman

Le traité Ad martyras est habituellement daté de l'an 197. Né entre 150 et 160, Tertullien s'est converti vers 195 et a entrepris de suite une série d'ouvrages apologétiques. L’ Ad martyras et une de ses premières œuvres. Quasten écrit : « On a supposé que Perpétue et Félicité pouvaient appartenir au groupe de confesseurs que vise ce traité. Toutes les deux, en effet, étaient catéchumènes et moururent pour leur foi en 202. L'ouvrage daterait alors de la même année. La Passio Perpetuae et Felicitatis et le traité Ad martyras ont tant de points communs qu'on a proposé Tertullien comme l'auteur du premier de ces écrits. Mais ce n'est là qu'une hypothèse. Le style si caractéristique de Tertullien ne se retrouve pas dans la Passion de Perpétue et Félicité. Le titre lui-même du traité pose problème. Il faudrait écrire en latin Ad martyres. Le Ad martyras pourrait être la transcription du grec où martus peut-être masculin, féminin ou neutre.

Le traité débute par une courte introduction. Tertullien se propose, malgré son indignité personnelle, d'apporter une nourriture spirituelle aux martyrs qui reçoivent la nourriture corporelle de l'Eglise et des autres chrétiens.


I. Bienheureux martyrs désignés, pendant que l'Eglise, notre mère et notre maîtresse, vous nourrit du lait de sa charité, et que le généreux désintéressement de vos frères apporte dans votre prison de quoi soutenir la vie du corps, permettez-moi aussi de contribuer pour ma part à la nourriture de votre âme. Vous le savez, engraisser la chair et laisser jeûner l'esprit, ne sert à rien. Il y a mieux: si l'on soigne ce qui est faible, à plus forte raison ne faut-il pas négliger ce qui est plus faible encore. Mais qui suis-je pour oser vous encourager? Toutefois, les gladiateurs les plus consommés dans leur art permettent non-seulement aux maîtres de la science et à leurs chefs, mais encore aux ignorants et aux inhabiles, de leur adresser des exhortations. Le peuple lui-même les anime de loin, et quelquefois utilement.

Je vous recommanderai avant tout, bienheureux confesseurs, de ne pas «contrister l'Esprit saint» qui est entré avec vous dans la prison. S'il n'y était pas entré avec vous, certainement vous n'y seriez pas enfermés aujourd'hui. Travaillez donc à ce qu'il demeure toujours avec |450 vous, afin que de là il vous conduise au Seigneur. La prison est la forteresse où le démon enferme sa famille. Mais pour vous, vous n'avez franchi ces portes que pour fouler aux pieds l'ennemi jusqu'au centre de son empire, et y achever un triomphe commence ailleurs. Qu'il ne puisse donc pas dire: Ils sont chez moi; je les tenterai par de basses animosités, par de lâches affections, par des rivalités jalouses. Non; qu'il fuie à votre aspect; qu'il aille se cacher au fond de son repaire, honteux et rampant, comme un de ces reptiles que l'on chasse par des paroles ou des flammes magiques. Qu'il ne soit point assez heureux pour vous commettre l'un avec l'autre jusque dans son domaine; mais qu'il vous trouve toujours prêts et armés de concorde. Car votre paix à vous, c'est sa plus cruelle guerre; paix, au reste, si précieuse, que les infortunés qui l'ont perdue dans l'Eglise, vont d'ordinaire la demander aux martyrs dans leurs cachots. Raison de plus pour la garder parmi vous, pour la maintenir avec persévérance, afin qu'il vous soit possible de la distribuer aux autres.


I. La prison comme le lieu du combat spirituel


Tertullien commence par une véritable méditation sur la prison en la présentant comme le lieu du combat spirituel que les martyrs doivent mener contre le démon, sous l'égide du Saint Esprit. C'est l'Esprit Saint qui les a conduits en prison, dans l'antre du démon, pour qu'il le vainquent : « Ne contristez pas l'Esprit Saint qui est entré avec fougue dans la prison. S'il n'y était pas entré avec vous, en effet, vous ne seriez pas là non plus aujourd'hui. Veiller à ce qu'il persévère avec vous et vous conduise vers le Seigneur ».

D'une phrase, Tertullien a indiqué toute une conception du martyre. Ce ne sont pas les soldats du proconsul, mais l'Esprit de Dieu qui a mené les martyrs en prison. Ce séjour est un passage par la tentation et conduit au Christ. On ne peut s'empêcher ici de penser à l'entrée du Christ dans le désert sous la motion de l'Esprit pour y être tenté par le démon. Ce thème sera repris par le monachisme qui a fait du désert le lieu du combat contre les démons.

Notons le sentiment de la présence active de l'Esprit Saint et qui accompagne les martyrs dans la prison. Dans les Actes de martyrs de Lyon et de Smyrne, c'était plutôt la présence du Christ qui était indiquée. Ce serait allé trop loin, nous semble-t-il, que de voir ici une influence montaniste, comme l'ont fait certains historiens.

L'aide de l'Esprit est d'autant plus nécessaire que la prison se présente comme le lieu du démon : c'est la maison du diable que la prison, où il garde sa famille. Et Tertullien lui prête ses paroles : « Ils sont chez moi, je les tenterai par de basses haines, des défections ou par des disputes entre eux ».

Pourquoi la prison est-elle la maison du diable ? C'est sans doute le lieu où on enferme les criminels ; mais surtout c'est l'endroit où l'autorité romaine incarcère injustement, comme des coupables, ceux qui portent le nom du Christ, et où ils sont soumis à une première épreuve. La prison prend, de la sorte, un sens spirituel et devient le lieu de l'épreuve entre les griffes du démon.

Tertullien montre donc aux chrétiens qu’ils sont entrés en prison pour vaincre l'esprit du mal, et d'abord sur ce point : la résistance à la tentation de la dissension, le maintien de la concorde et de la paix entre eux. Relevons la formule vigoureuse : « Car votre paix est pour lui une guerre ». Cette paix entre eux leur permettra de réconcilier en toute vérité ceux qui, ayant apostasié, s'adressent à eux pour retrouver la communion avec l'Eglise, selon une coutume fréquente.

Notons que ce thème de la paix reparaîtra dans le monachisme : dans sa lutte contre le démon, le moine doit veiller à garder la paix du cœur qui rayonnera ensuite autour de lui. Chez Tertullien il s'agit directement de la paix des chrétiens entre eux et avec l'Eglise. Telles sont les fruits de l'Esprit selon saint Paul : charité, joie, paix, douceur... (Ga  5,22).


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