Les arts thérapeutiques ancestraux sont intimement liés aux arts martiaux. Il fallait pouvoir soigner les corps après la bataille, ou maintenir une bonne santé pour pouvoir se battre, chasser, travailler et se reproduire. C’est la raison pour laquelle autrefois un cursus médical était souvent attaché à une école d’arts martiaux.
(Geste de kuatsu pour réveiller un pratiquant inconscient après le combat)
Apprendre le kenjutsu et les emplâtres, le jujutsu est l’ostéopathie, le kung-fu est les plantes, le vietvodao et le massage, le karaté et le shiatsu, n’a jamais été extraordinaire dans le passé. Il était inconcevable pour un maître de laisser son élève partir sans avoir un minimum de bagage médical. Si un budoka (au sens large) était capable de détruire, il fallait aussi qu’il sache se soigner en cas de coup dur. Mais cela marchait dans l’autre sens. Après un duel, si l’adversaire n’était pas mort, il était de bon ton de lui porter les premiers secours en attendant l’arrivée d’un vrai médecin. Par la suite, les combattants les plus chevaleresques allaient rendre visite au blessé pour prendre de ses nouvelles et l’encourager à se rétablir rapidement.
(Ce mouvement de taijiquan étire les méridiens yin de la jambe - vessie, reins, rate-pancréas)
Avec les temps modernes et la transformation des budo en sports martiaux (que l’on distingue par la présence de compétition. Lire l’article : sport et budo les deux opposés), l’enseignement d’un art de soin est tombé la plupart du temps dans l’oubli. C’est fortement regrettable à plus d’un titre. Heureusement que certains d’entre eux conservent cette vision d’ensemble, comme c’est le cas du shorinji kempo qui enseigne les kuatsu (techniques de choc pour réveiller un combattant sonné ou blessé). Mais quid du karaté, du wushu, de l’aïkido, du judo et de tant d’autres aujourd’hui ?
(Ce mouvement de kata de karaté d'Akira Hino, montre une circulation entre le méridien coeur du bras avant et le triple réchauffeur du bras arrière)
Pourquoi est-ce si important d’apprendre un art du soin en même temps qu’un art martial ? Tout d’abord parce que cela permet de mieux comprendre le corps et son fonctionnement. Ainsi on peut prendre soin de sa personne et renforcer son corps, soulager ses fatigues et poursuivre longtemps son entraînement. Ensuite, parce qu’en apprenant à soulager les douleurs du corps, on s’intéresse à l’autre. Une nouvelle dimension apparaît chez le budoka, celle de l’empathie. Cette empathie peut apaiser son désir de combat et de destruction. Ses connaissances en matière de points vitaux par exemple, peuvent désormais lui servir à soigner via le shiatsu ou le tuina. Ainsi il apprend que si les points vitaux ont un côté yang (destructif), ils ont aussi un côté yin (constructif). L’étude de la médecine asiatique, des plantes, des os, du massage, des bandages, des kuatsu sont autant de moyens de s’ouvrir plus avant dans la culture d’origine du pays qui a créé un art martial. Et l’on sait que si l’étude de la culture ne sert pas forcément pour apprendre un sport martial, c’est en revanche quasi indispensable pour comprendre le fonctionnement profond d’un budo. Les arts du soin asiatique sont basés sur les théories énergétiques et ésotériques chinoises, à savoir le rythme de la nature et des saisons, le yin et le yang, les cinq éléments, les mouvements énergétiques en spirales, etc. Ces notions sont les mêmes qui sont à la base de tous les arts martiaux. Ce n’est pas un hasard si les plus grands maîtres de taichi et kung-fu étaient (et sont encore) des médecins réputés. Enfin, les arts comme celui des kuatsu, du shiatsu, du tuina, de l’acupuncture ou de la moxibustion, enseignent ce qu’est l’énergie. Bien souvent le discours des arts martiaux porte sur la notion d’énergie. Mais ce sont toujours des mots et rares sont les enseignants capables de faire ressentir réellement ce qu’est l’énergie. Avec ces arts, un pratiquant arrive bien mieux à cerner cette autre réalité du corps.
(Le yin et le yang, les cinq éléments, la circulation en spirale de l'énergie, sont les bases communes des arts martiaux et des arts du soin)
Apprendre intimement les mécanismes du corps et savoir s’en servir pour soigner comme pour combattre change un pratiquant, quel qu’il soit, en profondeur. Son sens moral est développé et ses gestes l’engagent intégralement. Il n’est plus possible d’attaquer dans un entraînement en risquant de blesser son partenaire sans savoir pertinemment ce que l’on fait. Il n’y a donc plus d’irresponsabilité. N’est-ce pas là un des buts premiers des arts martiaux, à savoir forger des êtres humains pleinement responsables de leurs actes.
(Wong Fei Hung, immortalisé par Jet Li au cinéma dans les "Il était une fois en Chine", était un grand maître de kung-fu et un médecin très réputé pour ses soins)
L’intérêt pour les soins est palpable dans le monde des arts martiaux et il reste très présent. J’ai été initié au shiatsu il y a 15 ans lors de stages d’été d’aïkido. J’ai découvert le reiki en pratiquant le karaté. J’ai découvert le massage des pieds au vietvodao. J’ai appris la respiration énergétique au qigong. J’ai reçu quelques notions d’ostéopathie au jujutsu. Mais à chaque fois c’était le fait d’une personne et non pas de l’enseignant. Et pour cause, cela ne fait plus partie du cursus d’une discipline martiale. Je formule ici le vœu - car je sais que ces lignes sont lues par de grands responsables de nombreuses disciplines martiales (que je salue au passage d’ailleurs) – que chaque ceinture noire possèdent au minimum l’équivalence d’une première année d’étude dans un art du soin, et ainsi de suite pour chaque grade dan. En faisant cela, les arts martiaux redeviendront pleinement des écoles de construction de l’individu.
A bon entendeur, je vous souhaite une bonne pratique.