Dimanche 16 mai, Eric Woerth a enfin remis aux partenaires sociaux un document d'orientation sur la réforme des retraites. On y apprend qu'une contribution supplémentaire sera bien créée hors bouclier fiscal, mais on ne sait pas à quelle hauteur. Pour le reste, point de surprise. la réforme touchera tout le monde, et surtout la durée de cotisation.
Malgré le sujet, le préambule est presque lyrique, comme un discours de campagne : «c'est une réforme de société. Une société dans laquelle l’égoïsme entre les générations n’a pas sa place.
Une société dans laquelle les Français retrouvent la confiance dans leur système de retraite.
Une société dans laquelle l’effort est réparti de manière équitable.
Une société dans laquelle l’âge est repensé pour que les seniors retrouvent toute leur place
dans le monde du travail. »
Après ce bref rappel des deux objectifs - déjà connus - de la réforme («apporter une réponse durable aux difficultés financières» et «conforter (...) la solidarité» du système), le document de 17 pages comprend 14 «engagements» :
Engagement n°1 : sauvegarder le système de retraite par répartition.
Il est triste et rassurant de lire un vibrant plaidoyer pour le système de répartition, et une critique tout aussi vibrante contre le régime par capitalisation.: ce dernier «n’apporterait par ailleurs aucune réponse au déséquilibre démographique du régime par répartition», et de surcroît, «les régimes par capitalisation sont sensibles aux fluctuations des marchés financiers. » Pourtant, il y a quelques jours, le président du groupe UMP au Sénat louait encore les vertus de la capitalisation, un système «qui a l'immense avantage d'être mondialisé, de pouvoir associer les vieux Français aux jeunes des pays émergents. Nous aurions tort de nous priver de cette faculté».
Engagement n°2 : assurer le retour à l’équilibre de nos régimes de retraite à moyen terme.
C'est une évidence. La crise est structurelle, même si la récession depuis 2008 a aggravé les difficultés de financement de quelques dizaine de milliards d'euros. Le gouvernement n'avance pas de propositions, même s'il précise qu'il n’écarte pas «pour le long terme la piste d’une réforme systémique du mode de calcul des droits (régimes par points ou en comptes notionnels, toujours dans le cadre de la répartition).»
Engagement n°3 : ne pas réduire les déficits en baissant les pensions des retraités d’aujourd’hui.
Les seniors sont une cible électorale choyée par l'UMP et la droite en général. Pas question donc d'effrayer l'électeur. La fondation Terra Nova avait récemment émis une idée, faire contribuer les retraités à la réforme du système. Motif invoqué : les seniors ont aujourd'hui un niveau de vie supérieur en moyenne à celui des actifs.
Engagement n°4 : ne pas réduire les déficits en baissant les pensions des retraités de demain.
Le gouvernement rappelle que le niveau moyen des pensions continuera de croître de 20% au-delà de
l’inflation d’ici à 2030, grâce aux indexations conventionnelles et réglementaires. Et qu'il n'est pas question d'y toucher.
Engagement n°5 : améliorer la compréhension et l’information des Français sur leurs futures retraites.
Le système français est complexe, avec 20 régimes de bases, regroupés en 3 grandes familles (salariés du secteur privé , non-salariés, et régimes spéciaux), les régimes complémentaires (obligatoires pour les salariés et non-salariés du secteur privé), et des modalités de calculs différentes d'un régime à l'autre. Le gouvernement émet une proposition, la création d’un « point d’étape retraite » à 45 ans.
Engagement n°6 : écarter toute solution qui baisserait le niveau de vie des Français ou augmenterait le chômage.
Sous ce curieux libellé, le gouvernement rappelle son opposition à toute augmentation des cotisations. Il ne faudrait pas brider le niveau de vie des Français, et donc le retour de la croissance. «Toute solution fondée sur la hausse générale des prélèvements obligatoires serait nécessairement incompatible avec ce principe.» Le gouvernement devient ainsi bizarrement keynésien, en défendant la consommation des ménages. Il lance quelques chiffres pour faire peur : pour «financer le déficit des régimes de retraite en recourant principalement à l’augmentation des prélèvements obligatoires», il faudrait «alourdir de 32 Md€ en 2010 puis d’au minimum 41 Md€ en 2020 et 70 Md€ en 2030». En fait, il s'agit toujours d'exonérer les revenus du capital de l'effort fiscal. La seule niche fiscale créée par Jean-François Copé en 2006 sur l'exonération des «plus-values à long terme provenant de cessions de titres de participation » a coûté 20 milliards d'euros sur ses deux premières années.
Le gouvernement exclue donc toute hausse des cotisations vieillesse, mais aussi le remplacement de l’assiette des revenus du travail par une cotisation portant sur la valeur ajoutée. Mais il lâche du lest, sans avouer encore clairement ses intentions d'ébrécher le sacro-saint bouclier fiscal. Notez la phrase, elle est courte : «Toutefois, le Gouvernement n’exclut pas, dans une logique d’équité, de prévoir de nouveaux prélèvements sur des assiettes et des revenus ciblés.»
Engagement n°7 : répondre à un déséquilibre démographique par des solutions démographiques.
Résumons-nous : le retour à la croissance ne résoudra pas le problème; une hausse généralisée des prélèvements serait dangereuse; le niveau des pensions doit être garanti. Quel levier de réforme reste-t-il ? Vous ne voyez pas ? La durée d'activité pardi ! «Seule cette solution démographique permet de répondre à la cause profonde du déséquilibre financier tout en étant compatible avec l’objectif de justice que le Gouvernement s’est fixé dans le cadre de la réforme.» Eric Woerth fait préciser : ce sera «le socle d'une réponse durable et juste». Il identifie trois leviers : premièrement, augmenter la durée de cotisation (actuellement de 41 ans à partir de 2012) pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Le gouvernement avance un argument tautologique: grâce aux réformes précédentes, l’allongement de la durée de cotisation «a permis d’obtenir que les Français travaillent plus longtemps». En d'autres termes, parce qu'on doit cotiser plus longtemps... on travaille plus longtemps. Second levier, reculer l’âge d’ouverture des droits à retraite (60 ans). Le gouvernement précise qu'il faudra alors imaginer un dispositif de soutien pour les chômeurs âgés, car cet allongement pourrait «conduire à les maintenir plus longtemps au chômage, en particulier non indemnisé, c’est-à-dire avec un niveau de ressources moindre que leur pension de retraite.» Difficile d'imaginer Sarkozy crédible sur ce point quand on se souvient de son projet, avorté pour cause de crise, de suppression de la Dispense de Recherche d'Emploi pour les pré-retraités... Troisième levier, écarté par le gouvernement : décourager à coups de décotessur les retraites ceux qui voudraient partir tôt. «Un système possible, dit de « l’âge pivot », consiste à appliquer, en complément de la décote liée au nombre de trimestres manquants, une décote supplémentaire (dite « par âge ») pour la personne qui liquide sa pension de retraite avant un âge donnée, supérieur à 60 ans.»
Engagement n°8 : changer les règles de manière très progressive.
Il n'y aura pas de rupture en matière de réforme des retraites. Il ne faut pas brusquer l'électorat, surtout senior ou pré-senior. L'allongement de la durée de cotisation et de l'âge de départ sera donc progressif.
Engagement n°9 : tenir compte de ceux qui ont eu une vie professionnelle plus difficile.
Grand sujet de négociation, la prise en compte de la pénibilité est retenue par le gouvernement, mais sur la base d'un «suivi personnalisé de la carrière des travailleurs et non sur la définition a priori de catégories professionnelles.»
Engagement n°10 : mettre fin à la spécificité française en matière d’emploi des seniors.
Attention, danger ! Le gouvernement veut que les seniors de 50 à 60 ans travaillent davantage. Pour décourager les pré-retraites, il avance deux leviers d'action : l'allongement de la durée de cotisation augmentera mécaniquement la durée d'activité, quitte à précipiter les seniors au chômage dans la précarité (cf. engagement n°7). Le gouvernement insiste ensuite sur la politique des ressources humaines et des conditions de travail dans les entreprises. Il ne propose à ce stade aucun filet de sécurité (pour les chômeurs âgés) ni d'engagements contraignants (pour les entreprises).
Engagement n°11 : adapter les mécanismes de solidarité des régimes de retraite à la réalité des besoins sociaux.
Le gouvernement rappelle la variété des carrières professionnelles, qui complique le système. Mais il ne propose rien, si ce n'est de «s’assurer que les règles actuelles permettent de couvrir de manière satisfaisante la réalité des aléas de la vie professionnelle.»
Engagement n°12 : augmenter les ressources destinées aux mécanismes de solidarité par un effort financier supplémentaire de certains revenus.
Ce chapitre a fait l'objet de toutes les attentions. Le bouclier fiscal ébréché, sans qu'on sache encore de combien : «le Gouvernement entend notamment intégrer dans le champ de la réforme des retraites la mise en place d’une contribution supplémentaire de solidarité sur les hauts revenus et les revenus du capital. En ce qui concerne les particuliers, cette contribution supplémentaire ne donnera pas droit à restitution au titre du bouclier fiscal. Les ressources supplémentaires ainsi collectées seront affectées aux mécanismes de solidarité des régimes de retraite, à travers le fonds de solidarité vieillesse (FSV).» Le gouvernement sauve la face : il ne sort du bouclier fiscal que cette contribution exceptionnelle.
Engagement n°13 : poursuivre la convergence entre les régimes de retraite du public et du privé.
Les Fonctionnaires sont prévenus : leurs «règles de retraite spécifiques», «le fruit de l’histoire, certaines remontant au XIXème siècle», vivent ses derniers jours.
Engagement n°14 : assurer une gouvernance d’ensemble des régimes de retraite fondée sur des rencontres périodiques avec les partenaires sociaux.
Le gouvernement est peut être superstitieux, et souhaitait éviter de s'arrêter à 13 engagements. le 14ème n'est que formel et médiatique.