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Etat chronique de poésie 894

Publié le 20 mai 2010 par Xavierlaine081

894

Pas de jour sans que viennent à la bouche mots évoquant les tempêtes.

Avec un bémol minimisant leurs effets, on avoue une peur qui s’installe dès lors que le vent montre son museau de fureur.

Voici que la langue cherche toujours à en dire moins que ce que l’attitude suggère.

Toujours cette appréhension à avouer ce qui est largement ressenti : le traumatisme va plus loin que tout ce qui pourrait en être dit.

On nie même l’évidence : la digue construite ici pour abriter le port de plaisance et qui pousse la mer à rogner sur la dune, un peu plus loin, les marées qui se font plus hautes, emportant ici et là quelque fragment de l’île… Tout ceci, bien sûr n’aurait rien à voir avec une élévation du niveau des eaux.

On voit un hiver se durcir, le froid se faire plus mordant, la belle saison se faire plus chaude, mais on continue à nier l’évidence : il se passe bien des changements, des désordres qui visent à nous remettre à notre juste place.

Paradoxe : alors que tout le monde sait qu’il faudra gérer l’eau comme une denrée précieuse, jamais on ne s’est autant précipité dans ces bassins, îles d’eau au beau milieu des terres. On y plonge avec allégresse, dans les joyeux cris des enfants ravis de voir parents revenir à leur prime jeunesse… Pour quelques heures, on échappe à la morosité dans un plongeon magnifique, au bout d’un tube d’eau…

On reprend son costume de rancœur à la sortie, en remontant dans son quatre fois quatre qui ne font jamais seize.

Puis on s’agglutine sur des parkings de supermarché, on claque son maigre gain en babioles inutiles (ce sont les vacances, on peut bien faire un extra). D’extras en extras, on sait le déficit, mais on fait comme si…

On joue avec la vie comme on joue à se faire peur. L’esprit d’enfance a changé de camp. Les enfants sont même parfois plus raisonnables que leurs parents.

Le tout, c’est de nier toute responsabilité.

La radio diffuse une courte émission. On y entend Hubert Reeves avouer sa fascination pour ces régulations de naissance qui se font toutes seules, par la voie biologique de la fertilité : selon que vous êtes riches ou pauvres, à Gaza ou à Paris, votre biologie met en place ses réflexes de survie, que votre langue, bien évidemment, niera, au nom de la supériorité de l’Homme, et vous irez construire votre résidence secondaire, bien en dessous du niveau de la mer, derrière une digue dont vous demanderez, comme de bien entendu, à ce qu’elle soit rabaissée pour vous préserver vue imprenable sur l’horizon marin qui monte.

Que la tempête vienne vous rappeler à la raison, vous chercherez les amitiés pour contourner ce que vos sens sont devenus incapables de saisir.

N’importe quel animal, en pareil cas, saurait se comporter avec plus de responsabilité que nous autres, humains.

Nous ne savons quoi faire de nos intelligences : nous nous contentons de n’en utiliser que la partie cognitive, niant toutes les autres dont dépend pourtant notre cognition.

*

Mes yeux cherchent vainement, au rayon des libraires, de quoi alimenter ma rêverie marine.

Ils découvrent avec effarement des guides touristiques qui vantent les beautés océaniques. Rien pour dire ce rapport âpre et difficile avec les éléments qui se déchaînent depuis la nuit des temps ; très peu sur ces naufrages dont les îliens firent un temps leur pitance, attendant la livraison de poutres et d’objets pour en bâtir leur pauvre demeure ; rien sur le danger encouru à partir affronter la haute mer, et lui arracher sa fortune en bars, araignées de mer, langoustes et langoustines.

Le citadin de passage ne saura rien de cette vie difficile : on ne l’invite d’ailleurs pas à percevoir les dangers. On le critiquera seulement d’avoir passé la barrière de sécurité. On poussera des cris d’orfraie devant son irresponsabilité. On alignera les chiffres sonnants et trébuchants des secours déployés pour le ramener indemne. Puis on se taira pour ne pas affoler le touriste.

Devant l’irresponsabilité grandissante, on mettra, sur conseil des technocrates européens, des grilles et des portes autour du port de pêche. Au nom de l’hygiène (j’en ai vu qui laissaient leur chien déposer leur obole crottée devant la porte de la criée, juste sous les pieds des marins qui rentraient leur cargaison), on posera des interdits, mais nul ne viendra écrire ou lire l’âpreté du travail, cette lutte incessante contre les éléments.

*

Mes yeux reviendront alors à la beauté.

Dans un rayon de soleil, ils resteront posé sur le visage fermé d’une douce naïade ayant accouché trop tôt.

Ils garderont le souvenir d’une jeune fille au regard rieur, venue sonner, et repartant, heureuse, sa lorgnette à bout de bras : sa passion des oiseaux qui l’emmène loin du triste spectacle offert par les Hommes est d’une belle raison.

Un rayon de soleil affleure au ras des toits. Peu à peu la grande symphonie matinale s’éteint, laissant place à l’ardeur solaire et à la précipitation constante.

La vie, elle, se moque bien de mes pensées : elle tisse sa toile sans un regard pour nos pauvres écrits.

La vie est ailleurs, elle se réinvente sans cesse au fond de ces abymes d’où nous venons, et dont nous nions chaque jour la force et la raison.

Saint Pierre d’Oléron, 8 avril 2010

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