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La peau de sa gueule d’ermite est teintée par les années...

Publié le 20 mai 2010 par Fabrice @poirpom
La peau de sa gueule d’ermite est teintée par les années...

La peau de sa gueule d’ermite est teintée par les années de crapahute sur le gros rocher. Patrick ne sait que regarder dans les yeux. Et serrer la main fermement.

Pour serrer cette paluche rugueuse comme une roche, trente minutes de ballade en ferry sont nécessaires.

Je vous conseille de descendre à l’intérieur.

Sur ledit ferry, un membre de l’équipage rappelle rapidement les gens à l’ordre. On n’est pas sur un bateau mouche. La petite demie heure de ballade fait passer Space Mountain pour un vibreur de téléphone. On arrive alors au Port Frioul. Sur l’île de Ratonneau. Dans l’archipel du Frioul. Dans la rade de Marseille. 

Archipel… Un bien grand mot. De dépliant touristique. La réalité est plus brute: deux cailloux, Tiboulen et If; et deux rochers, Pomègues et Ratonneau. Une digue relie ses deux derniers. Des fois qu’ils partent à la dérive, ils partiront ensemble.

Installez-vous.

Bienvenus à bord du Citroën Berlingo de Patrick, tartiné de poussière. Merci d’éteindre cigarette et téléphone au moment du décollage, le long de la digue. Un long spaghetti de terre, saupoudré de caillasses et de vestiges de bitume, vient alors chahuter pilote et passagers. De part et d’autre, des pentes abruptes plongeant sur des criques écoeurantes de beauté. Rouler à 40 km/h est une tentative de suicide. 30 km/h relève simplement de l’audace. L’audace est une norme lorsqu’on connait un coin comme sa poche.

Ça fait neuf ans que je suis là.

Patrick papote poliment en pilotant l’audacieux Berlingo. K-Ro, passagère, garde sa contenance corporate et réponds poliment en se tenant à la planche de bord comme si sa vie en dépendait. Toto l’américano, sur la banquette arrière, est secoué comme un milk-shake. Poignée, appui-tête, banquette… tout ce qui peut servir à s’agripper se voit sérieusement compressé par ses pognes de bûcheron.

Légère odeur de déjection. Toto vient sans doute de faire dans son froc à l’entrée d’un virage. Modérément audacieux, le bûcheron ricain.

Un dernier micro vallon caillouteux dépose le Berlingo en contrebas d’une bâtisse. L’équipage cabossé abandonne l’engin. Ascension des quelques dizaines de marches qui mènent au sémaphore. Dans le reflet de la vitre de la porte d’entrée, Patrick recoiffe sa touffe de poils capillaires, hirsutes et clairsemés.

J’vais tout passer à la tondeuse, un matin. Je l’sens bien.

Mobilier réduit à l’essentiel, équipement technologique raisonnable. Dans le grand bureau, 3 unités centrales surgavées et un fax. Réseau Wifi, 3G et GSM pleine balle.

Dans les étages, le mobilier disparait. D’immenses pièces, vides et rondes. 

La marine a désarmé le sémaphore en 1999. Depuis, on s’en sert pour bosser.

Préservation de l’éco-système, observation et recensement de la faune terrestre, entretien de la flore.

Au troisième, des oiseaux ont fait leur nid sur les rebords de fenêtres, à l’abri du vent. Des piafs, tout juste nés, piaillent avec peine. Des petites crottes de chair en attente d’énergie et de plumes qui tardent à pousser.

Au dernier étage, la vue est à se foutre une balle. Au sol, deux petites pompes raccordées à des compteurs de gaz.

Des outils de mesure de la pollution de l’air. Les compteurs, c’est pour mesurer la quantité d’air analysée.

Chaque pompe analyse le taux de concentration de différents produits, plus ou moins affreux, qui n’ont théoriquement rien dans l’air ambiant.

Retour au rez-de-chaussée, dans le bureau. Au centre, une table et quatre chaises accueillent la bande en fin de visite de courtoisie. Patrick actionne le mécanisme de son stylo bille.

Bon. Au boulot. J’suis au courant de rien. Vous êtes là pour quoi?


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