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Rétention de sûreté : une QPC transmise au Conseil constitutionnel par le Conseil d’Etat (CE, 19 mai 2010, section française de l’OIP)

Publié le 21 mai 2010 par Combatsdh

Dans un communiqué de ce jour, l’Observatoire international des prisons annonce la transmission par décision du Conseil d’Etat du 19 mai 2010 d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur une disposition du Code de procédure pénale sur la rétention de sûreté. La section française de l’OIP lui reproche une “incompétence négative”, c’est-à-dire le fait pour le législateur de s’être “défaussé” de sa compétence, attribuée par l’article 34 de la Constitution, en privant le justiciable d’un droit ou d’une liberté constitutionnels.

Combats pour les droits de l’homme publie, en avant première, cette décision (Merci à Hugues de Suremain!).

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La QPC avait été introduite l’avocat habituel de l’OIP, Me Spinosi, dès les premiers jours de l’entrée en vigueur de la réforme le 1er mars 2010 (voir ce billet de CPDH du 7 mars 2010) contre l’Article 706-53-21 du Code de procédure pénale (créé par  l’article 1er de la LOI n°2008-174 du 25 février 2008 puis transféré à l’article 706-53-22 par l’article 6 de la loi n°2010-242 du 10 mars 2010),  dans le cadre d’une procédure intentée par le “Gisti des prisonniers” contre le décret d’application de cette loi (décret n°2008-1129 du 4 novembre 2008).

Après le rappel des 3 conditions cumulatives de transmission d’une QPC par le Conseil d’Etat,

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la décision du 19 mai apporte deux précisions importantes sue la procédure de question (prioritaire) de constitutionnalité:

-  est susceptible de constituer un moyen tiré de ce qu’une “disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution” une incompétence négative, c’est-à-dire, précise le Conseil d’Etat, “le moyen tiré de ce que le renvoi par la loi au pouvoir réglementaire pour déterminer les droits des personnes retenues et en fixer les limites méconnaît la compétence confiée au seul législateur par l’article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques”.

On se souvient que, dans sa circulaire (Circulaire n° CIV/04/10 du Ministre de la justice et des libertés du 24 février 2010 relative à la présentation de la question prioritaire de constitutionnalité), le Garde des Sceaux précisait à propos de la norme constitutionnelle invocable (page 8):

“Certaines des normes figurant dans la Constitution ne pourront être invoquées, à l’appui des questions prioritaires de constitutionnalité : en particulier, il ne sera pas possible de soutenir ue la disposition législative contestée a été prise en méconnaissance de règles constitutionnelles à caractère procédural, telles que celles précisant les conditions d’élaboration et d’adoption de la loi. Doit toutefois être distinguée l’hypothèse dans laquelle serait invoquée « l’incompétence négative » du législateur, c’est-à-dire le fait pour le Parlement de « reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer les règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi », lorsque cette insuffisance de la loi aura privé le justiciable du bénéfice d’un droit ou d’une liberté constitutionnellement garanti. Il appartiendra au Conseil constitutionnel de se prononcer sur cette question, qui n’a pas été tranchée lors des débats parlementaires”.

NB: Cette décision fera plaisir à l’Union syndicale des magistrats administratifs (USMA) qui, dans sa QPC contre l’article L. 222-1 du code de justice administrative, développe également ce moyen d’incompétence négative.

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- second apport de cette décision, et non des moindres, le Conseil d’Etat applique pour la première fois, nous semble-t-il, le second alinéa de l’article 23-5 qui prévoit que, comme condition de transmission de la QPC, le fait que le Conseil constitutionnel ne doit s’être déjà prononcé sur le moyen “dans les motifs ET le dispositif d’une décision”.

Or, comme on le sait, la loi du 25 février 2008 instaurant la rétention de sûreté a déjà été contrôlée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2008-562 DC du 21 février 2008. Néanmoins dans cette décision, le Conseil ne s’est pas prononcé dans les motifs ET le dispositif de sa décision sur l’article l’article 706-53-21 du Code de procédure pénale créé par  l’article 1er de la LOI n°2008-174 du 25 février 2008

Certes, dans le dispositif, l’article 1er est bien déclaré conforme à la Constitution:

“D É C I D E :

Article premier.- Sont déclarées contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental :

- à l’article 12, le mot : « favorable » ;
- à l’article 13, les alinéas 2 à 7 du I, le II et, par voie de conséquence, le IV.

Article 2.- Sous les réserves énoncées aux considérants 21 et 31, les articles 1er, 3 et 4 et le surplus des articles 12 et 13 de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental sont déclarés conformes à la Constitution.”

Néanmoins le Conseil constitutionnel n’a pas expréssement examiné la constitutionnalité de l’article 1er dans le dispositif de la décision (même si cela peut paraître étrange, compte tenu de l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l’article 62 de la Constitution de lui soumettre une disposition qu’il a déjà déclarée conforme à la Constitution… Dans sa décision du 3 décembre 2009 l’a admis en validant la loi organique).

Force est de constater qu’il n’a pas examiné l’article 1er. Il sera donc amené à se prononcer sur la question de savoir si cette disposition n’est pas entachée d’une incompétence négative (qui au demeurant aurait aussi pu être constatée par le Conseil d’Etat).

On notera que le Conseil d’Etat considère la condition remplie et ce malgré la présence d’un considérant balai dans les motifs  de la décision (”35. Considérant qu’il n’y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d’office aucune question de conformité à la Constitution“).

Cela est un nouveau signe que le Conseil d’Etat entend, comme l’a récemment déclaré M. Sauvé, avoir une lecture ouverte des notionsou comme l’a mentionné un rapporteur public ne pas trop faire dans la dentelle (conclusions Anne Courrèges, sur CE 14 avril 2010, M et Mme Labane, AJDA 2010, p.1021).

Par ailleurs, la disposition s’applique au litige en cours (la disposition légale critiquée fonde le décret contestée), et le moyen est sérieux et, par conséquent, la première QPC de l’OIP - et 4ème du Conseil d’Etat - est transmise!

Dans son communiqué, l’OIP rappelle que le Comité contre la torture de l’ONU vient de demander à la France de « considérer l’abrogation » de la rétention de sûreté et que “l’ancien président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, avait assuré qu’il vaudrait à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme“.

Communiqué de l’OIP

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Au regard de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg cette condamnation n’est pas acquise. Certes, aux yeux de la Cour, la rétention de sûreté est bien une “peine” (”La rétention de sûreté est une “peine” (CEDH, 17 décembre 2009, M. c. Allemagne)“, CPDH 23 décembre 2009) et non une mesure de “sûreté”, comme l’a estimé le Conseil dans sa décision du 21 février 2008. Mais néanmoins, le Conseil avait déjà largement “neutralisé” le dispositif en appliquant le principe de non rétroactivité “eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu’elle est prononcée après une condamnation par une juridiction”, sauf dans certaines circonstances.


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