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Ian curtis, you cunt !

Publié le 21 mai 2010 par Acrossthedays @AcrossTheDays

IAN CURTIS, YOU CUNT !
Voilà 30 ans, Ian Curtis s’est donné la mort dans sa maison, un 18 mai 1980. À la veille d’une tournée aux Etats-Unis. À la veille de tout ce que n’importe quel chanteur ou groupe aurait aimé connaître : le triomphe, les photographes, les concerts sold-out, les interviews, l’immortalisation sur papier dans des grands publications, des citations dans le classement des personnes les plus influentes au monde dans le Time. Tout ça, Ian Curtis, modeste britannique né à Manchester, n’y pensait pas. Ian Curtis aura toujours été à part, loin, très loin de la normalité, à des kilomètres des musiciens standards et des standards de la musique. Marié à 19 ans à peine, le cul amoureux entre deux chaises quelques années plus tard, souffrant de crises d’épilepsie qui lui feront perdre le contrôle, Ian Curtis ne fera pas partie du club des 27, ce « stupid club » comme disait la mère de Kurt Cobain. En aucun cas. Il est mort à 23 ans et Dieu sait ce qu’il aurait pu faire par la suite. Une pendaison soudaine et brutale, comme pour mieux tuer ces crises incontrôlables qui l’envahissaient peu à peu.  Une décision égoïste qu’ont pris certains fans stupides comme un acte romantique. 23 ans de vie qui ont entraîné des tonnes de questions  et d’hypothèses sur sa vie, ce qu’il pensait, ce qu’il était. Le film Control, sorti en 2007 sur les écrans, est l’exemple parfait de qui était Ian Curtis : se rapprocher de lui d’un pas, c’est s’en reculer inexorablement de deux pas. Le film ne donne aucune réponse. À nous de nous les poser. En aucun cas un artiste britannique n’aura eut le pouvoir comme lui de changer la face la musique britannique en seulement deux ans. Deux années dont Ian Curtis a disposé et utilisé avant de mourir afin de construire le premier album du groupe Joy Division, Unknown Pleasures. Si peu de temps qui vont influencer le post-punk britannique, donner des idées aux OMD, Bloc Party, The Editors et Interpol.

Ian Curtis n’était pas le genre de chanteur à dire à tout bout de champ « on ne parle bien que de ce que l’on connait ». Avouez que cela aurait été une forme d’aveu qu’il n’aurait pu se permettre à l’égard de ceux qu’ils côtoyaient quotidiennement, notamment les membres de son groupe Joy Division. Ce n’est d’ailleurs qu’en relisant ses paroles que les membres du groupes comprendront un peu mieux le suicide de leur chanteur. Plus ils parcouraient ses écrits et plus ils comprenaient ce geste inqualifiable pour tout homme de 23 ans. C’est comme s’ils ne l’avaient jamais vraiment connu, jamais vraiment percé, même s’ils étaient toujours à ses côtés. Le relire a été pour eux une forme de prise de conscience à regret de ce qu’était leur partenaire musical. Ils comprenaient enfin qu’il ne parlait pas pour le plus grand nombre mais seulement de lui. Ils ont enfin compris qu’il n’avait peut être pas un talent pour se mettre à la place des gens mais un talent pour décrire avec génie ce qu’il lui arrivait. Paradoxalement, les fans de Joy Division apprendraient peut être à mieux se connaître en déchiffrant les paroles d’un chanteur atypique de Manchester.

Pourquoi parler d’un type mort il y a 30 ans ? Mort en 1980 alors que Margaret Thatcher était encore à la tête du Royaume-Uni. En parler en 2010 alors que David Cameron, après 13 ans de New Labour Party, prend les commandes du pays. Car c’est un des seuls types au monde à avoir réussi à marquer la musique en l’espace de si peu de temps, avec autant de classe en apparence que de fragilité dans le fond. Ce n’est pas un papier de 20 lignes qui pourra lui rendre hommage. L’objectif n’est pas là. C’est juste pour qu’on se souvienne encore un peu de lui et de Joy Division dans 10 ans, en relisant ce qu’il a fait, en réécoutant Joy Division. C’est donc un billet plutôt personnel à partager avec quelques personnes.

IAN CURTIS, YOU CUNT !

Mais sur Across The Days, on ne lâche pas l’affaire aussi facilement lorsqu’un type comme lui vous intrigue autant. Alors on a essayé de se mettre à sa place, d’essayer de voir ce qu’il aurait pu penser de sa mort, après sa mort, modestement :

« Je suis Ian Curtis et dans quelques minutes je serais mort. Une balle dans la tête ? Non. Je n’ai pas envie de faire comme un certain blond crasseux qui, dans 14 ans, se retrouvera contre sa volonté sur des milliers de t-shirt d’ados boutonneux. Une fin glaciale dans une baignoire à Paris ? Non, je ne veux pas finir au Père Lachaise, visité par des millions de touristes feignant de pleurer sur ma tombe tout en étant photographié par leurs parents, le chien sur les genoux. Finir sur un lit d’hôpital, un petit tas de médicaments à côté de moi comme le roi de la pop ? Mais ça va pas non ! Ca sent la cérémonie à deux balles vue par des milliards de téléspectateurs, médusés par une mise en scène à la Spielberg. Dites moi si je me trompe pour ce qui est de la cérémonie.

Je vous parle d’une mort brutale sans autre moyen qu’un simple bout de corde dans une simple cuisine dépareillée dans la simple ville de Manchester. Pas la pendaison pour le côté répulsif et agressif de voir un corps inerte pendre dans une pièce. Non. Je n’aime pas la télévision et tout ce que cela comporte comme spectacle. La corde, c’est surtout pour que je sache quand je mourrais et les conséquences que cela aura sur mon corps : sans autre trace qu’une simple brûlure au cou, à l’image de mon passage sur Terre, rapide. Pas de trou béant dans mon corps, pas de seringues dans mes veines, pas de drogues dans mon sang. Quelque chose de brutal mais de simple à la fois. La mort lente par la drogue, ou rapide par un coup de fusil, a tout d’une mise en scène pour la télévision. La pendaison, c’est quelque chose d’oubliée, réservée non pas aux rock star mais à ceux qui croupissent en prison, dans leur prison.

Qu’elle soit réelle ou imagée, je vis dans une prison. Une prison que je ne peux plus arpenter sans me sentir piégé par mes sentiments, par une maladie qui me paralyse. Pour tout vous dire, j’ai été heureux. Mon groupe, Joy Division, j’y ait tout donné et c’était plutôt cool. Mais c’est avec lui et un peu à cause de lui que j’ai connu cette mort. Il m’a fait prendre conscience de l’importance de certaines personnes, m’a permis d’en rencontrer d’autres. Mettez moi en plein milieu d’un carrefour d’où je pourrais voir deux chemins et je ne saurais vous dire lequel je voudrais choisir. « Pourquoi faire ? » vous dirais-je. Mieux vaut parfois prendre un chemin qui n’existe pas, même si c’est le plus égoïste, le plus repoussant et le plus brutal. Il permet parfois de couper court à tout, de tout laisser en suspens, que ce soit l’amour pour deux personnes, pour deux territoires, pour la musique, pour un groupe ou le désespoir d’une maladie qui vous rend faible à l’égard des autres. Laisser en suspens, c’est bien l’image que j’aimerais laisser au monde : mourir à 23 ans, il est vrai que c’est très jeune, mais c’est mourir à un âge qui m’aura permis de donner de la hauteur aux choses que j’ai accomplies. À l’heure où je vous parle, ma musique est au summum, je suis amoureux de deux belles femmes au delà des frontières et je n’ai rien à regretter. À l’opposé, mourir à 100 ans, il est vrai que c’est vieux, il n’y a plus grand chose en suspens à cette âge là. Tout ce que vous avez accompli a déjà été fait des dizaines d’années en arrière lorsque vous étiez encore jeune : tout n’est plus en suspens, tout est à terre et tout le monde a eu le temps d’y marcher dessus, de  tout retourner. À 23 ans, quoi que vous ayez fait, les gens n’arriveront même pas à accéder à ne serait ce qu’un centième de votre vie. Il pourront seulement en avoir une « idée » et des centaines de questions sans réponses sur le bas côté.

Imaginez : vous êtes fort, chantez, écrivez, créez devant des milliers de personnes. Et soudain, vous tombez. Vous tombez comme une plume sur un coussin mais avec fracas, vous vous débattez sans que rien n’y fasse puis vous vous réveillez, des centaines d’yeux vous fixant avec stupeur. Les gens vous perçoivent alors différemment, essaient de vous comprendre sans qu’ils ne puissent y arriver tout en faisant mine de savoir qui vous êtes. Comment faire dans ce cas là ? Se laisser mourir. Pas pour la postérité ou pour avoir une place au soleil dans le club des 27. Seulement pour partir, brutalement oui, mais en paix, en ayant pris ce chemin qui n’existait pas. Une personne de ma famille disait, parlant de quelqu’un, « je serais heureux que cette personne disparaisse, elle a tout vécu, n’a plus aucun désir de rester sur Terre et ce serait pour elle un véritable soulagement et une véritable liberté que de mourir. Enfin ». Il était temps pour moi aussi de disparaitre.

P.S : je viens de voir le dernier film qui m’était consacré et, franchement, j’ai beaucoup apprécié ce que le réalisateur a fait de ma vie. Oui. Faire un biopic sur une vie, normalement, ça donne des réponses. Là, j’ai senti que Control n’en était pas un. Les Johnny Cash et autres Ray étaient bien mais trop convenu. Dans Control, on se pose encore des questions à la fin du film. En plus, le côté noir et blanc et stylisé m’a beaucoup plu. La couleur va très bien aux manteaux noir que je porte dans les rues blanches de Manchester. Je vais donc de ce pas voir J-J Truffaut, histoire qu’il me donne son avis sur ce film. Ce français a encore toute sa tête et me bat tous les samedis aux échecs. Il est vraiment bon le salop .

P.S 2 : bonne chance à David Cameron et à sa troupe.

Ian Curtis, le 21 mai 2010, 10h30 du matin. »


George Clemenceau

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