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Anonymat : le sénateur qui voulait des noms

Publié le 24 mai 2010 par H16

Cela fait quelques jours que les médias et la blogosphère bruissent de ce petit vent de panique que seule une proposition de loi encadrant l’internet est capable de provoquer. Cette fois-ci, dans le rôle du nouveau shérif débarqué dans la petite ville de Blogotown, j’ai nommé JL Masson. Jay-Hell, pour les intimes…

Jay-Hell, il a des principes. L’un d’eux est que toute information ou bribe d’information, émise par un quidam, doit pouvoir être identifiée. Autrement dit, les blogueurs, les commentateurs et les anonymes du net, s’ils émettent un avis, s’ils usent de leur « liberté d’expression », doivent être identifiables facilement.

Et pour arriver à cette fin, il propose d’appliquer le régime des professionnels de l’information aux non-professionnels ; pour cela, il veut modifier la LCEN en supprimant la possibilité pour les personnes éditant à titre non professionnel un service de communication au public en ligne de s’abriter derrière l’hébergeur pour préserver leur anonymat.

En gros, comme l’explique Authueil, chaque site, chaque blog devrait alors faire figurer une mention expliquant qu’en cas de demande, les informations d’identifications formelles de l’auteur seraient fournies. Pouf. Comme ça, sur simple demande.

C’est enquiquinant, cette histoire de la liberté d’expression. On en a déjà parlé sur ce blog, on en a déjà parlé ailleurs, on en parle régulièrement un peu partout notamment lorsqu’il s’agit de dénoncer les dérives fachisssses du pouvoir néo-libéral de Sarkozy et sa main-mise sur le système.

Anonymat : le sénateur qui voulait des noms

Certes, c’est souvent exagéré ou un peu à côté de la plaque, mais de temps en temps, ça tombe parfaitement juste et on devrait en parler pas mal – comme ici, par exemple –  à l’occasion de cette ridicule proposition de loi, parce qu’il est particulièrement pénible d’entendre toujours les mêmes arguments foireux pour justifier une nouvelle fois un rognage en bonne et due forme des libertés de base au profit d’un état policier de plus en plus envahissant.

La question qu’on peut se poser est de savoir dans quelle mesure notre aimable sénateur n’est pas complètement à côté de la plaque pour des raisons qui ne sont pas, en réalité, présentées dans la loi.

On écarte la probabilité – non nulle mais faible – qu’il vienne d’un autre monde, par exemple de la petite planète Kravatoribl dans le système Mytaylorispoor, et qu’arrivé sur Terre, il se fasse passer pour un politicien chevronné. Non. Cette hypothèse n’est pas crédible. Il a juste des goûts de chiottes et un amour manifeste de l’agression visuelle.

Jay-Hell, de la planète Kravatoribl

L’autre probabilité, plus sérieuse, est qu’en réalité, il aime bien qu’on parle de lui. Non-inscrit, il doit en effet avoir quelques problèmes, sans le soutien d’un parti officiel et puissant, pour attirer les caméras à lui. Une proposition de loi à la fois couillue et ridicule permettra d’attirer les bonnes grâces journalistiques.

Et ce sera coup-double si, en plus, cette loi permet, de façon détournée, d’envoyer le message « Protégeons les journalistes » : imposer l’absence d’anonymat et les mêmes règles pour les blogueurs privés et non-professionnels qu’aux professionnels, c’est, très clairement, favoriser ceux qui sont installés « officiellement » au détriment de ceux qui, derrière, poussent les premiers dans leurs retranchements en les obligeant, par exemple, à se relire, à vérifier leurs informations, et à justifier clairement le versement des subventions publiques. En d’autres termes, le blogueur « gratuit et non-professionnel » pousse le payant, subventionné et professionnel à offrir une vraie valeur ajoutée.

On comprend que ce surcroît de travail enquiquine, agace, fatigue et irrite. Notamment les mauvais, bien sûr (non non, je ne vais pas parler de Huet et Foucard, je ne veux pas stigmatiser).

En outre, une source indépendante, non subventionnée, non-professionnelle, c’est peut-être une source toute pourrie, qui ne vaut rien, mais c’est aussi peut-être une source d’autant plus fiable qu’elle est anonyme. Mieux : cela oblige le lecteur à un travail de recoupement, de vérification, en plus de celui qui aura été mené pour lui présenter des informations.

En somme, les sources alternatives, non professionnelles et anonymes, c’est la fin du gobage passif de purée informative prédigérée et estampillée Approuvée Par Le Gouvernement, Mainstream Media Endorsed, ou Bien-Pensance Incluse En Kit.

On comprend que les politiciens et les journalistes confortablement installés dans le ronron de leurs habitudes soient de plus en plus nerveux. Et on comprend dès lors pourquoi la proposition de loi de l’hurluberlu n’a pas attendu pour avoir droit à son rapporteur (une certaine Bruguière), alors que d’habitude, ceci peut traîner en longueur ou ne jamais aboutir.

Accessoirement, on peut aussi noter que l’anonymat est indispensable à beaucoup de ceux qui bloguent actuellement. Combien de textes ne seraient jamais produits s’ils ne l’étaient pas sous le sceau de l’incognito ? On retrouve quelques arguments à ce sujet dans le billet de Birenbaum, mais de façon générale, l’anonymat est indispensable dans une société de libre-expression, de la même façon qu’un vote doit être secret. Il ne peut y avoir de libre parole s’il peut y avoir des pressions sur celui qui s’exprime. Et le meilleur moyen d’exercer une pression est, tout de même, de connaître clairement la personne.

De la même façon qu’un état qui vire dangereusement totalitaire passe généralement par la case « Interdiction Totale des Armes » pour les citoyens – le citoyen libre et armé constitue, en réalité, le principal ennemi de l’état totalitaire – la case « Suppression de l’Anonymat » ne vient pas très loin avant l’étape « Suppression de la libre-expression ».

Je vous laisse en tirer la conclusion de votre choix.

—-

(Et pour la petite histoire, n’étant pas résident français, je me fiche de l’impact de la proposition de loi en question)


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