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Max | Atelier

Publié le 24 mai 2010 par Aragon

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Jules, c'était le grand-père de mon père, mon père qui a quatre-vingt-huit ans.  Lui qui ne parle pas, il parle souvent de Jules. Jules était charron, son père aussi. Puis un jour il y a eu l'atelier moderne de mécanique : bicyclette, machine à coudre, vélomoteur, cuisinière, pendule, tout ce qui avait un ventre mécanique se réparait ici. J'ai pointé mon nez, quand le lycée m'a éjecté. Mon père a dit non. On ne peut pas vivre de rien. Tu iras à l'armée. L'atelier est resté...

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Ça, c'est le bec d'une enclume, des générations de Capdeville ont tapé dessus, l'ont fait chanter. Il y a de la poussière dans l'atelier de mon père. Heureusement mon frère, de temps à autre. Il sait tout faire de ses dix doigts. Moi, je ne peux que m'y taper dessus dès que je prends un marteau. Des mots seulement sortent de mes doigts. L'atelier de mon arrière grand-père Jules sort de mes doigts, la chanson de l'enclume sort de mes doigts gourds et maladroits...

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Pas de poussière dans le coeur, seulement dans les yeux, sur l'établi et accrochées aux poutres avec des guirlandes de toiles d'araignées, que j'appelais "étoiles d'araignées" quand j'étais petit, que je venais voir taper mon père sur son enclume. La poussière n'a jamais prise dans le coeur des gens. Un coeur c'est neuf en permanence même quand le souffle est court comme chez mon père actuellement, quand le geste se fait lent, la démarche à la limite de la glaciation. Un coeur c'est toujours du neuf avec tout ce que ça contient dedans...

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Il y a des objets étranges dans un atelier, ils ont tous une âme, je le dis sans complexes à la suite de Lamartine, il n'a rien inventé, Milly / Amou, même combat, Cadou l'a chanté aussi, dans l'atelier de mon père il  y a des multitudes d'âmes étranges, d'étranges lampes de poche de la guerre de 14, des bâtis en bois précieux radio Pathé, des dynamos, des pneus, des câbles, des lampes à souder,  de la corde à piano (j'aimais entendre prononcer ce nom quand j'étais enfant !), des moteurs de cyclomoteurs, un nécessaire à fabriquer des cartouches à broche, des âmes d'objet comme s'il en pleuvait. Du silence aussi. Beaucoup de silence. Le silence a pris le dessus avec les toiles d'araignées. Ils sont pourtant tous là. Générations vivantes. Je vois la moustache flamboyante du capitaine tonitruant que mon père adorait plus que son propre père : Jules !

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