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La détresse en Martinique : La quête d’égalité sous une fresque de néo féodalisme par Geneviève Vadeboncoeur

Publié le 25 mai 2010 par Hugo Jolly

http://i63.servimg.com/u/f63/11/33/07/47/trois-10.jpgLa Martinique fait partie des Antilles françaises et constitue, depuis 1946, un département français d’outre-mer où l’on retrouve un nombre considérablement élevé de diagnostic de dépression et de suicide. Pour vous situer, les quatre départements d’outre-mer actuels sont considérés comme des collectivités territoriales, qui en réalité, sont d’anciennes colonies intégrées à la République française. Ce sont des régions monodépartementales, auxquelles est appliqué le principe d’«assimilation législative» (les lois et règlements français sont applicables de plein droit). Ce qui se traduit « par un puissant mouvement de concentration des leviers décisionnels (…) par une extériorisation des lieux de pouvoirs réels, dans un processus continu de départementalisation».  Avec une superficie de 1100 km², mesurant 70 km de long et environ 30 km de large, la Martinique est le plus petit des départements d’outre-mer. En tant que département français, la Martinique fait partie de l’Union européenne au sein de laquelle elle constitue une région ultrapériphérique. À ce titre, elle bénéficie de «mesures spécifiques» qui adaptent le droit communautaire selon les contraintes des régions, mais aussi à une politique de défiscalisation qui a conduit à un dopage des investissements dans le secteur immobilier. En effet, selon les chiffres et statistiques, la Martinique fait figure de havre de richesse dans une Caraïbe relativement pauvre. Cependant les apparences cachent une réalité parfois difficile à assumer.

En effet, la production locale est faible : une production agricole axée sur la monoculture de la banane rend le pays totalement dépendant de l’extérieur pour son alimentation et la production industrielle est très limitée (rhum, raffinerie de pétrole, ciment et produits laitiers principalement). Globalement, la balance commerciale est fortement déficitaire et les exportations se cantonnent à la banane, au rhum et aux produits pétroliers raffinés. L’économie est en fait basée sur la consommation de produits provenant majoritairement de la métropole,  comme en témoigne la présence de nombreux centres commerciaux aux rayons garnis de produits importés d’Europe. Alors maintenant comment comprendre que certaines personnes puissent nier l’impact de la ZLEA sur l’autonomie d’un peuple? Les entreprises agricoles des DOM, tout autant que les entreprises manufacturières ou industrielles, se retrouvent hors compétition sur les marchés libres internationaux, ce qui augmente la fragilité et la vulnérabilité économique et accentue par le fait même le rapport de dépendance à la métropole. Même des légumes comme l’igname, à l’origine cultivé majoritairement dans les pays tropicaux, proviennent de la métropole Française, dû au coût de production et de son statut non compétitif envers les autres producteurs.  En fait, ce qui faut principalement retenir de cette économie, c’est que la grande majorité de son activité est centralisée dans le secteur tertiaire, secteur où les salaires sont assumés par l’État Français.

Ce qui démontre bien l’artificialité du montage lorsqu’on nous présente ce majestueux paradis des îles, sur une fresque d’universalité. En effet, lorsqu’on lève le voile, on se rend vite compte que ce paradis coule sous la chaleur du malaise dégagé par les maux du peuple Antillais. Comment peut-on trouver une autonomie si la majorité de notre économie est assumée par une métropole qui fait office de main nourricière?

La sujétion politique laisse donc planer un voile d’incertitude et divise le peuple  en deux : Assimilationnisme et Autonomisme.

Cette ambivalence est en partie issue selon moi, de nouvelles formes de bourgeoisie compradore issue d’une élite qui ne veut pas perdre ses acquis fiscaux et d’un peuple ambivalent qui ère sous des discours de fausses consciences sociales. La Martinique dépense, renfloue les poches des producteurs externes, alors qu’elle ne produit pas ou peu, le tout grâce aux transferts sociaux venus de France pour leur garantir une illusion d’égalité. Ils se retrouvent donc coincés entre le désir de quête d’une identité et l’illusion d’un plaisir associé aux avantages matériels.

Illusion qui trop souvent est mise sous l’autel du marxisme pour défendre le maintient. Mais comment peut-on faire état d’une pensée marxiste lorsque la base même de la philosophie d’un matérialisme dialectique, basé sur la construction d’un bien commun assumée par un peuple actif dans sa construction, n’est nullement intégrée? Où est la notion de construction… d’action?  Cette intervention de l’État dans les politiques sociales qui se doivent, à la base, de protéger un bien commun, laisse place à l’artifice intégré par une économie de mondialisation qui manipule plutôt le bien être collectif pour que seule, l’élite, puisse gravir les échelons. Souquet-Basiège, cité à plusieurs reprises par différents auteurs, émet clairement notre position quant à la lecture que nous faisons des composantes de la sujétion politique : C’est l’immobilisme Français, sous ses dehors révolutionnaires.

Auguste Armet qui, en 1990, utilise le terme créole «Krazé», pour définir l’influence pathogène de la situation de dépendance politique et économique : (…) soit une société d’une société déséquilibrée, perturbée par un passage radical a la modernité, marquée par une pesanteur abrutissante et étouffante d’une société capitaliste, plus que par un simple blocage lié aux lieux décisionnels». La Martinique est donc marquée par une absence de contrôle véritable sur ses propres leviers de développement, une sujétion politique à l’Union Européenne et d’une domination coloniale permanente et ce, dans le but d’atteindre l’égalité sociale. Mais quelle égalité? Ironiquement, je questionnerais : l’égalité de la souffrance? Souffrir autant que la métropole? Qui gagnera la médaille du plus souffrant selon vous?

Plus encore, lorsque nous consultons les données issues d’une étude Ethno épidémiologie de la détresse psychique à la Martinique, ces chiffres corroborent l’idée que je vous présente, soit que le tissu social est sectionné par la détresse économique et politique, à un point tel, que même la famille, notion fondamentale du capital social, n’assume plus le rôle d’amortisseur des tensions et de l’anxiété générée par cette assimilation. Ces discours politiques ferment dès lors la porte à toute invention d’un cadre répondant précisément à leur singularité, oblitérant toute possibilité d’une réponse alternative des élus politiques envers la détresse vécue par les Antillais.

A ce stade, je me permets de pousser plus loin ma réflexion. Rappelez-vous de vos notions d’histoire. Quelle était la volonté du colonisateur lorsqu’il prenait en grippe un peuple? A l’époque du féodalisme, rappelez-vous qu’on a systématiquement mélangé des africains de langues différentes afin de rendre difficile la communication et donc les rébellions. La communication, qui représente l’ADN de la culture (comme le dirait si bien M. Gilles Vigneault!), a été sectionnée, laissant des marques sur les peuples, laissant une blessure qui ne s’est toujours pas cicatrisée pour certains, alors que pour d’autres, elle a donné naissance à l’accession de la voix  de résistance des masses. Dans les données issues du livre, l’auteur nous parle de néocolonialisme pour décrire la situation actuelle plutôt que de s’en tenir au post colonialisme pour expliquer la situation en Martinique. Ce que j’approuve entièrement. Mais à ce terme, j’inclus volontiers un autre terme, celui du néo féodalisme.

En effet, dans l’ère de la mondialisation, l’organisation des DOM est effectivement la formation d’une couche capitaliste bureaucratique, soit de «grands propriétaires terriens», qui entretient une domination qui laisse l’humain comme une marchandise déshumanisée ou encore, comme un pantin consommateur qui assoit l’ordre colonial. Car le néo colonialisme tel que présenté dans le présent ouvrage, ne consiste pas en un simple pillage commercial, mais en l’organisation moderne d’un pays tout en le laissant opprimé selon les besoins impérialistes des «grands propriétaires terriens». Ce qui ressemble étrangement à une forme de néo féodalisme. C’est pourquoi je me permets d’utiliser ce terme. Je m’explique. Dans l’époque Féodale, le vassal était celui qui, ayant reçu une propriété territoriale nommée bénéfice, se trouvait par là dans la dépendance du garant de cette propriété ; auquel il devait foi et hommage, en échange d’une assistance de son suzerain dans certains cas. La féodalité désigne alors une société caractérisée par la hiérarchie des terres et des personnes, le morcellement des terres et de l’autorité, la domination de la classe combattante. Évidemment, cette forme de féodalisme est d’un genre différent du féodalisme qui succède historiquement à la société esclavagiste dans les pays impérialistes. Il s’agit d’un féodalisme permettant la formation d’une caste dépendante de l’impérialisme justifiant la colonisation entendue comme l’extension d’un État étranger sur des territoires situés en dehors de ses frontières nationales. Mais il s’agit là d’une intégration formelle, d’un colonialisme masqué, relayé par une bourgeoisie compradore, entre autre pour son économie de consommation qu’elle rapporte. Alors, «il en résulte une misère morale et psychologique cachée derrière la cage dorée d’une richesse artificielle» comme le mentionne M. Massé dans son ouvrage.

Tel un perroquet, en voie d’extinction, que l’on capture sous l’effigie de la bonne foi et que l’on met en cage. Démontrant ainsi notre bonne conscience sociale de sauveur. On le présente comme étant sorti des griffes de déforestations, sans re-questionner la déforestation qui, elle, rapporte des milliers à ce même sauveur.  Ce qui ramène rapidement au concept de spectateur dans le livre la société du spectacle de Guy Debord. Mais quand la porte de la cage s’ouvre, que ce passe-t-il selon vous? Certains prendraient le vol et d’autres, pris par la peur, resteraient pris dans la cage, même en se sachant vulnérable, à répéter ce qu’on  leur a appris jadis. L’ambivalence du peuple Antillais pourrait se décrire ainsi.

L’ambivalence entre autonomisme et Assimilationnisme de rapports politiques et économiques, qui affectent la capacité de l’Antillais à donner sens à sa détresse à l’intérieur de la reproduction des rapports de domination. Le laissant spectateur de sa propre réalité depuis des décennies. Alors, dans ce qui convient d’étaler aujourd’hui, je m’arrête sur la réflexion suivante :

«Finalement, nous comprenons que la quête d’égalité des acquis sociaux s’est transformée en inégalités sociales majeures, qui se traduit dans une souffrance porté socialement. »

Geneviève Vadeboncoeur



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