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Première suspension d’une réadmission de demandeurs d’asile vers la Grèce (CE, 20 mai 2010, famille O).

Publié le 25 mai 2010 par Combatsdh

Pour la première fois le juge des référés du Conseil d’Etat suspend une réadmission de demandeurs d’asile vers la Grèce en estimant qu’il résulte de l’instruction, “notamment de certificats médicaux et de plusieurs témoignages circonstanciés” qu’une famille de réfugiés palestiniens a fait l’objet, lors de son transit en Grèce, d’un traitement de la part des autorités de ce pays ne satisfaisant pas aux garanties exigées par le respect du droit fondamental d’asile.

En l’espèce, la famille O. de réfugiés palestiniens vivait en Irak en étant placée sous “mandat  strict” du HCR. Elle a d’abord fuit ce pays vers la Syrie mais en proie à l’hositilité de la population, elle décide ensuite de gagner l’Europe. Arrivée à Lesvos, elle a été enfermée à Pagani, là où s’entassent près de 1500 personnes dans un hangar à matériaux transformé en “centre d’accueil”. Libérée et livrée à elle même, elle décide alors de rejoindre Marseille.

Accueillie par la Cimade Marseille, elle sollicite  ‘asile mais comme les empreintes des membres de la famille ont été prélevées en Grèce sur EURODAC, la préfecture la place en procédure de réadmission dans le cadre de la procédure “Dublin II”.

Le 22 mars 2010, la préfecture leur refuse donc le séjour et leur demande de rejoindre la Grèce.

Saisi d’un référé liberté, le tribunal administratif de Marseille suspend la décision de réadmission pour défaut d’information par écrit et enjoint le préfet de réexaminer la situation dans un délai de cinq jours:

“Considérant; qu’il résulte de l’instruction que M. Youssef O. n’a pas été informé par écrit dans une langue qu’il comprend des conditions d’application et des effets du règlement [Dublin], nonobstant la circonstance que la décision a été traduite sur place et oralement par un interprète; qu’il n’est pas établi, ni même allégué par le préfet que l’intéressé serait illettré et que la garantie susmentionnée d’une communication d’une traduction par écrit aurait de ce fait été sans objet ; qu’il suit de là que, dans les circonstances de l’espèce, et au regard de la lecture retenue par le Conseil d’Etat des dispositions communautaires dont s’agit, notamment dans la décision n° 332586 du 17 mars 2010, M. Youssef O. est fondé à soutenir que la décision attaquée a été prise sur une procédure irrégulière et qu’il a été à ce titre privé d’une garantie fondamentale” (TA Marseille, 23 avril 2010, N°1002691)

Sans respecter l’injonction, le ministère de l’Immigration fait appel en considérant que l’information a été correctement effectuée par le préfet à la fois par écrit au début de la procédure et par l’assistance d’un interprète lors de la remise de la décision de renvoi. Mal lui en pris puisque le Conseil d’Etat va censurer sur un autre motif, bien plus important: l’atteinte au droit d’asile par la Grèce en cas de réadmission.

Lors de l’audience publique le 19 mai 2010, le juge des référés du Conseil d’Etat, l’attention de M. Arrighi de Casanova  a en effet été attirée sur deux autres points : l’applicabilité de Dublin II à des réfugiés sous mandat strict du HCR et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Grèce.

Il va d’abord censurer l’ordonnance du premier juge en validant l’argumentaire de l’administration :

“Considérant, toutefois, qu’il résulte de l’instruction que, le 12 janvier 2010, M. et Mme A ont été informés par écrit, dans leur langue, que le préfet allait mettre en oeuvre la procédure de réadmission vers la Grèce, cette information étant assortie d’indications sur cette procédure et sur ses délais de mise en oeuvre ; que, lors de la notification des décisions litigieuses du 22 mars 2010, ils ont été assistés d’un interprète mis à disposition par l’administration, qui a contresigné les documents qui leur ont été remis, les informant de leurs droits et des voies de recours ; que, compte tenu de l’ensemble de ces éléments, et alors même que ces informations n’auraient pas expressément fait mention du cas où la Grèce ne donnerait pas suite à son accord pour leur prise en charge, et du délai de six mois au terme duquel, dans cette hypothèse, la France serait compétente pour traiter leurs demandes d’asile en vertu de l’article 19 du règlement du 18 février 2003, les circonstances de l’affaire ne font pas apparaître d’illégalité manifeste dans la procédure de traitement, par l’administration, de leur droit d’asile ; que, par suite, le ministre est fondé à soutenir que c’est à tort que, par les ordonnances attaquées, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille s’est fondé sur la méconnaissance des dispositions de l’article 3 du règlement du 18 février 2003 pour faire droit aux demandes de M. et Mme A.”

Ce faisant, le Conseil d’Etat confirme sa jurisprudence : l’information “Dublin” peut être faite par écrit ou par le biais d’un interprète et en référé-liberté ne constitue pas une illégalité manifeste  le caractère incomplet de cette information (pas de mention du cas où la Grèce ne donnerait pas suite à son accord pour leur prise en charge, et du délai de six mois au terme duquel, dans cette hypothèse, la France serait compétente pour traiter leurs demandes d’asile).

Mais cette censure lui permet d’examiner les deux autres moyens:

- sur l’applicabilité du règlement Dublin II à un réfugié sous mandat strict du HCR:  la question est trop complexe  pour être traitée dans le cadre de l’office du juge des référés

- il statue donc sur l’atteinte au droit d’asile en cas de réadmission en reprenant les éléments circonstanciés (attestations de témoignages, article de journaux):

Rappelons que depuis près de trois ans, les associations alertent les pouvoirs publics sur l’état catastrophique du système d’asile en Grèce, établi à la fois par le HCR, par le commissaire au droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, M Hammarberg, par la condamnation de la Grèce par la Cour européenne des droits de l’Homme pour traitement inhumain et dégradants pour un demandeur d’asile placé dans un centre de rétention dans des conditions inhumaines (arrêt du 11 juin 2009), par un rapport cinglant du comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe.

En juillet 2009, le durcissement de la législation grecque avec la création de dizaines de centre de rétention où seraient retenues les personnes pendant six à dix-huit mois et la réforme de la procédure d’asile avec l’entrée en vigueur du décret 81/2009 qui décentralise l’examen des demandes auprès des commissariats non formés et la suppression de l’instance d’appel au profit d’un recours au conseil d’Etat grec qui rend ineffectif ce recours a conduit le HCR  à se retirer de la procédure pour protester de cette nouvelle restriction  (cf. Communiqué en date du 17 juillet 2009).

Pourtant, l’article 53-1 de la Constitution prévoit, depuis la loi constitutionnelle n°93-1256 du 25 novembre 1993 adoptée suite à la décision décision di Conseil constitutionnel qui avait jugé que le respect du quatrième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 « suppose que les intéressés fassent l’objet d’une admission provisoire au séjour jusqu’à ce qu’il ait été statué sur leur cas » (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 portant « statut constitutionnel des étrangers ») que:

«  Les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif », même si la demande n’entre pas dans leur compétence en vertu d’accords avec les Etats européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d’asile et de protection des Droits de l’homme et des libertés fondamentales.

A la lecture d’ordonnances rendues par le juge des référés du Conseil d’Etat ces derniers mois sur la question de réadmission, dans le cadre du règlement « Dublin II » (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, de demandeurs d’asile vers la Grèce (CE, réf., 14 mai 2009, Mohammed A.,327792 ; CE, réf., 5 août 2009, n°330252 (tri) ; CE, réf., 30 septembre 2009, Malang Jan A, n°332310 ; CE, réf., 6 novembre 2009, ministre de l’Intérieur c/ Noury, n°332918, CE, réf. 1er mars 2010,  Ministre de l’Immigration c. Tahir, N° 336857 ), on pouvait légitimement se demander si cette disposition constitutionnelle connaît encore une quelconque effectivité.

En effet, le Conseil d’Etat a considéré dans plusieurs ordonnances du juge des référés que la Grèce étant “un Etat membre de l’Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu’à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales“, un demandeur d’asile ne pouvait se prévaloir “à partir de documents d’ordre général, des modalités d’application des règles relatives à l’asile par les autorités grecques pour soutenir que sa réadmission en Grèce serait, par elle-même, constitutive d’une atteinte grave au droit d’asile”.

Ce considérant de principe est d’ailleurs rappelé dans l’ordonnance du 20 mai 2010:

Considérant, d’une part, que la Grèce est un Etat membre de l’Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu’ à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; que, s’il en résulte que des documents d’ordre général relatifs aux modalités d’application des règles relatives à l’asile par les autorités grecques ne sauraient suffire à établir que la réadmission d’un demandeur d’asile vers la Grèce serait, par elle-même, constitutive d’une atteinte grave au droit d’asile,

Mais le 1er mars 2010, le juge des référés avait admis

(…) qu’il appartient toutefois à l’administration d’apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités grecques répondent à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile.

Appliquant cet examen in concreto dans la présente affaie, le Conseil d’Etat estime:

“Considérant qu’il résulte de l’instruction, notamment de certificats médicaux et de plusieurs témoignages circonstanciés relatifs aux conditions dans lesquelles M. et Mme O. et leurs enfants ont été traités par les autorités grecques lors de leur transit par ce pays, que l’absence de respect, par ces autorités, des garanties exigées par le respect du droit d’asile doit, en ce qui les concerne, être tenu pour établi; qu’ainsi, dans les circonstances particulières de l’espèce, leur réadmission vers la Grèce serait de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d’asile”

La condition d’urgence est aussi remplie compte tenu du fait qu’une décision de remise à un Etat étranger est “susceptible d’être exécutée d’office en vertu des articles L. 531-l et L. 5312 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile” ce qui “crée, pour son destinataire, une situation d’urgence au sens de l’article L. 52 l-2 du code de justice administrative”

 Les circonstances particulières de l’espèce ont joué un grand rôle. Néanmoins, cette décision repose la question d’un moratoire des renvois vers la Grèce des demandeurs d’asile compte tenu de la situation générale de ce pays.

Conseil d’État, 20 mai 2010, N°339478 et N°339479, au Recueil CE

par Gérard Sadik et Serge Slama


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