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Regards sur l’Holocauste – Partie 2

Publié le 25 mai 2010 par Politicoblogue
Regards sur l’Holocauste – Partie 2

Mémorial de l'Holocauste - Berlin

*(Suite de : Regards sur l’Holocauste – Partie 1)

Après avoir dressé un portrait général de la thèse de la particularité antisémite de l’Holocauste, il nous semble impossible de concilier cette thèse avec celle de la banalité du mal telle que proposée par Hannah Arendt. Le caractère inconciliable de ces deux thèses porte essentiellement sur la manière dont la tragédie de l’Holocauste est traitée. À travers une lecture de Modernité et holocauste (2002, 1 et 6), par Zygmunt Bauman, nous esquisserons brièvement en quoi la bureaucratie et le concept de banalité du mal se distinguent de la thèse de Goldhagen dans l’explication du drame du génocide juif par l’Allemagne nazie.

Il est primordial, avant tout de savoir que pour Bauman l’Holocauste n’a rien d’un épisode isolé de persécution ethnique ou religieuse, car cette perspective ignore la propension typiquement caractéristique de la modernité à la cruauté en considérant l’événement tragique comme « unique » et normal (21-28). Cette caractéristique particulière de la culture moderne fait en sorte que l’Holocauste devient une extension naturelle de tout ce que représente la modernité, soit : une éthique du travail aveuglé par le progrès et l’efficacité technique à un point tel qu’elle anéantit toute capacité de jugements moraux par sa rationalité bureaucratique spécifiquement centrale à la civilisation moderne (30-38). D’après Bauman : « L’anxiété demeure pratiquement entière devant le fait qu’aucune des conditions sociétales qui ont rendu Auschwitz possible n’a véritablement disparu […] » (37).

Finalement, le problème de conciliation entre cette thèse et celle de Goldhagen réside en cette neutralisation radicale des jugements moraux par l’organisation soigneusement réalisée de la rationalité des techniques bureaucratiques modernes. Dans ce type d’organisation, l’individu se trouve réduit à un simple rouage d’une imposante machine systématisée (49-65). D’après Bauman – et le concept d’Arendt –, les étapes segmentées d’un processus méthodique déploient des comportements fonctionnels « motivés par la loyauté et un désir de coopération avec les objectifs définis par la bureaucratie » (56). La pitié de Rousseau est ainsi inhibée un mécanisme social qui étouffe, voire rend invisible, toute moralité de l’acte et, par conséquent aboli les liens de causalités entre l’acte et son résultat, en dissimulant les victimes par la distanciation physique avec leurs bourreaux (56-61). Pour résumer, en réduisant le lien d’obligation qui lie l’univers social et le questionnement de l’ordre moral, la bureaucratie et la technique moderne de la raison instrumentale réussit à dénationaliser le citoyen par l’établissement d’une frontière morale arbitraire qui prive l’individu de son appartenance à sa communauté et qui permet ainsi un agir rationnel et inhumain à travers ce processus déshumanisant. (60-65).

a. Notre position : à chacun son crédit

À la lumière du regard que nous avons posé sur les deux différentes thèses qui précèdent, et en vertu des arguments plutôt convainquant qu’elles nous proposent, il nous est peu possible de contredire l’aspect fondamental caractérisé par la structure bureaucratique moderne qui ne requiert pas nécessairement la volonté personnelle d’agir (voir supra 1, b). L’Holocauste nous a fait prendre conscience des dérapages possibles grâce à nos moyens techniques et administratifs, et il a aussi tué le mythe du progrès inexorable. Ces moyens techniques et administratifs, s’ils sont l’instrument d’un but dont la finalité est mauvaise, ils n’empêchent pas le « mauvais ». Néanmoins, nous ne pouvons pas plus rejeter la thèse de Goldhagen qui prouve la présence d’un racisme principalement antisémite voulu (voir supra 1, a). Les Allemands garants du pouvoir ont mis en place cette bureaucratie qui était strictement orientée en vue d’une finalité propre et c’est cette finalité qui est tragique. Cela dit, le seul aspect que nous pourrions critiquer de ces thèses, c’est le fait qu’elles veulent s’exclure mutuellement (BAUMAN, 2002 : 22-28; GOLDHAGEN, 1998, 15). Intuitivement, ces thèses nous paraissent plutôt intimement interdépendantes, donc celle-ci n’exclut pas celle-là. En effet, les autorités au pouvoir ont vraisemblablement répandu une forme de morale proprement antisémite, mais il n’en serait rien si la technique bureaucratique moderne n’avait pas servi de catalyseur pour ce processus moralisateur. L’inverse est tout aussi valable : la technique moderne n’aurait pas été aussi meurtrière s’il n’avait été question d’une visée exterminationniste.

b. Problème éthique : un poids, deux mesures

Pour terminer, nous aimerions soulever un apport considérable de l’expérience de l’Holocauste et qui remet en question un concept fondamental à l’égard de Droit moderne, la justice. La question se pose lorsque nous considérons l’argument révisionniste suivant : si les Allemands avaient gagné la Seconde Guerre, il n’y aurait sûrement pas eu de procès Jérusalem ou Nuremberg; les actes nazis auraient probablement été entérinés et les SS auraient été gratifiés pour leur courage héroïque. Cette révision de l’Histoire nous confronte alors à la question suivante : y a-t-il un problème éthique à ce que des vainqueurs jugent des vaincus? La réponse que nous proposons à cette question cherche essentiellement à savoir comment pondérer les jugements éthiques. Pour mieux comprendre, rappelons-nous que les Américains avaient largué deux bombes en Asie presque en simultanée avec l’extermination juive par les Allemands. En considérant les conséquences de ces événements, pourquoi les bombes de Truman sont-elles un mal nécessaire et la tragédie allemande un crime contre l’humanité? Vraisemblablement, il y a un problème éthique au cœur même du système de justice. La violence légitime détenue par l’État de Droit moderne propose une doctrine qui, paradoxalement, ne s’applique pas à elle-même et qui néglige le fait qu’il faille recourir au mal pour combattre le mal. Or, plus il y a de lois, plus il y a de crimes, car aux yeux du système juridique, il ne peut y avoir de crime, sauf s’il est défini par la loi. Suivant cette logique, la violence est fonction des règles qui la balisent. D’après W. Sofsky, le Droit a cette prétention particulièrement superstitieuse de vérité absolue qui lui donne une apparence d’objectivité dans l’administration de la justice, mais ce n’est rien de plus que le vernis du discours éthique des civilisations modernes qui tend à étouffer les marginaux au profit d’une homogénéité culturelle parfaitement docile et soumise (1996 : 195-202). Il s’ensuit une perte d’importance du contenu à valeur éthique au sein du droit. N’est-ce pas plutôt l’œuvre du despotisme doux dont nous avait prévenu Alexis de Tocqueville au milieu du 19e siècle?

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