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Faites vous plaisir ! Consommez sans compter…

Publié le 26 mai 2010 par Perce-Neige
Faites vous plaisir ! Consommez sans compter…

C’est d’Annie Ernaux, dans ce texte envoutant, magnifique, - « Les années » (Ed. Gallimard) - que l’on pourrait presque croire avoir été spécialement écrit pour soi, tant ce vertige paraît dire, au plus juste, au plus près, ce que l’on a, à peine, compris, quand il s’agissait de vivre : « Les lieux où s'exposait la marchandise étaient de plus en plus grands, beaux, colorés, méticuleusement nettoyés, contrastant avec la désolation des stations de métro, la Poste et les lycées publics, renaissant chaque matin dans la splendeur et l'abondance du premier jour de l'Éden. À raison d'un pot par jour, un an n'aurait pas suffi à essayer toutes les sortes de yaourts et de desserts lactés. Il y avait des dépilatoires différents pour les aisselles masculines et féminines, des protège strings, des lingettes, des « recettes créatives et des « petites bouchées rôties » pour les chats, divisés en chats adultes, jeunes, seniors, d'appartement. Rien du corps humain, de ses fonctions, n'échappait à la prévoyance des industriels. Les aliments étaient soit « allégés » soit « enrichis » de substances invisibles, vitamines, oméga 3, fibres. Tout ce qui existe, l'air, le chaud et le froid, l'herbe et les fourmis, la sueur et le ronflement nocturne, était susceptible d'engendrer des marchandises à l'infini et des produits pour entretenir celles-ci dans une subdivision continuelle de la réalité et une démultiplication des objets. L'imagination commerciale était sans bornes. Elle annexait à son profit tous les langages, écologique, psychologique, se parait d'humanisme et de justice sociale, nous enjoignait de « lutter tous ensemble contre la vie chère », prescrivait : « faites-vous plaisir », « faites des affaires ». Elle ordonnait la célébration des fêtes traditionnelles, Noël et la Saint-Valentin, accompagnait le ramadan. Elle était une morale, une philosophie, la forme incontestée de nos existences. « La vie. La vraie. Auchan. » C'était une dictature douce et heureuse contre laquelle on ne s'insurgeait pas, il fallait seulement se protéger de ses excès, éduquer le consommateur, définition première de l'individu. Pour tout le monde, y compris les immigrants clandestins entassés sur une barque vers la côte espagnole, la liberté avait pour visage un centre commercial, des hypermarchés croulant sous l'abondance. Il était normal que les produits arrivent du monde entier, circulent librement, et que les hommes soient refoulés aux frontières. Pour les franchir certains s'enfermaient dans des camions, se faisaient marchandise - inertes -, mouraient asphyxiés, oubliés par le conducteur sur un parking au soleil de juin à Douvres. »


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