Magazine Amérique latine

« Occuper, résister, produire », éclairs autogestionnaires latino-américains

Publié le 30 mai 2010 par Ruminances

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Mardi 25 mai 2010 à 21h Maison de l'Amérique Latine


Cette conférence s'inscrit dans un cycle des « 40 ans » de France Amérique Latine. Elle a été introduite par Franck Gaudichaud (France Amérique Latine) qui a rappelé que ces « éclairs autogestionnaires » latino-américains s'inscrivent dans une longue tradition de lutte pour le « poder popular » (pouvoir populaire), tradition qui prend sa source à Cuba dans les années 30 avec les Conseils ouvriers. Deux périodes fortes de mobilisations sont à distinguer, périodes séparées par les années noires de dictatures militaires. La première prend son envol avec la révolution cubaine de 1959, les réformes du Président Velasco au Pérou (1968-75), le gouvernement d'Unité Populaire au Chili, le Cordobazo (1969) en Argentine ou encore l'Assemblée Populaire de Bolivie de 1971. La seconde prend la forme de laboratoires d'expérimentations démocratiques, tels que les médias communautaires vénézueliens, les communautés zapatistes et la commune d'Oaxaca au Mexique ou encore les Piqueteros argentins. De plus, la venue au pouvoir de gouvernements progressistes au Venezuela, en Bolivie ou en Equateur crée une relation nouvelle qui permet de démultiplier ces expériences.

Maxime Quijoux (Post-doctorant au GISCOP 93-Paris 13) nous a ensuite exposé son travail sur les entreprises récupérées d'Argentine. Si quelques expériences vont s'initier en 96-98 sur fond de désindustrialisation et de développement du chômage dans le pays, celles-ci vont se multiplier à la suite de décembre 2001. Ce mouvement est fortement associé au mouvement des Piqueteros ainsi que des Assemblées de quartiers. Aujourd'hui, de 10 à 13 000 travailleurs fonctionnent en coopératives, qui sont en général des PME, Zanon étant une exception notable à cette règle. Par ailleurs, ces entreprises récupérées sont souvent de vielles entreprises à la technologie vieillissante. À ce jour, toutes les entreprises récupérées évoluent dans un cadre légal.

Maxime estime que la description faite des entreprises récupérées argentines est parfois un peu mythifiée. Il prend l'exemple de Brukmann pour montrer le fait surprenant que les ouvrières de Brukmann étaient loin d'être politisées mais plutôt proches du patron. Cette entreprise est située en plein cœur de la capitale et fait de la confection de costumes. Le 18 décembre 2001, le patron part à l'étranger, soit-disant pour chercher de l'argent pour assurer les salaires. On ne le reverra plus. Ces ouvrières ressentent cette situation comme une véritable trahison. C'est ainsi qu'elles revendiqueront dans un premier temps la nationalisation sous contrôle ouvrier. En avril 2003, elles se feront expulser de l'entreprise. Un péroniste local reprendra l'expérience avec une appropriation légale temporaire et l'adoption d'un statut de coopérative, marginalisant ainsi les organisations d'extrême-gauche. En décembre 2003, le travail reprendra.

Quel bilan tirer de cette expérience ? En points positifs, on peut noter :

I- l'apparition d'un mouvement extraordinaire en dépit du fait que les ouvrières étaient particulièrement dépolitisées

II- Une autonomie retrouvée dans le cadre du travail sans aucune nostalgie pour le patron des pratiques autogestionnaires très fortes (avec notamment une AG hebdomadaire).

En points négatifs :

I- une précarité économique de l'entreprise avec absence de personnel qualifié (des 155 ouvrières de 2001, seules 20 sont restées)

II- des difficultés d'embauche, un fort absentéisme essentiellement motivé par l'éloignement des femmes de leur lieu de travail et la difficulté de concilier tâches ménagères et travail coopératif

III- la persistance de conduites individualistes qui n'ont curieusement pas pour source la rémunération (égalité) mais une division entre « celles qui travaillent dur » et les « feignantes ».

Thomas Siron (doctorant en anthropologie à l'EHESS de Marseille) nous a ensuite exposé l'expérience du Mouvement des travailleurs indigènes Sans Terre (MST) de Bolivie. Ce mouvement s'appuie sur la base légale de la loi de réforme agraire de 1953 qui veut que toute personne qui travaille une terre non cultivée pendant deux ans acquiert un titre de propriété sur 50 hectares. Cette loi limitait par ailleurs la taille maximum d'une propriété à 50 000 Ha. Suite à celle-ci, un fort mouvement de migration aura lieu dans les années 60 et 70 de l'Altiplano (Ouest du pays) à l'Oriente (Est du pays). Cependant ce mouvement se heurtera aux grandes exploitations. En 1996, l'État reprendra le contrôle des terres non attribuées dans l'objectif de favoriser les grandes propriétés. C'est dans ce contexte que s'affirmera ce mouvement.

Le triptyque « occuper, résister, produire » s'applique particulièrement bien à celui-ci. Il concerne majoritairement des jeunes paysans, souvent anciennement salariés agricoles, pour qui la possession de la terre est une réelle planche de salut et un moyen de se reclasser socialement. Ce mouvement s'inscrit donc dans une lutte de classe contre les grands propriétaires terriens. L'occupation d'une terre est un acte politique fort destiné à récupérer une dignité perdue et de se désaliéner. Il ne s'agit pas de s'approprier des lopins individuels mais de mettre en œuvre de nouveaux rapports de propriété et d'organisation au sein de la collectivité par un titre de propriété collectif de la communauté. La référence au caractère indigène de la lutte tend justement à rappeler le caractère inaliénable de la terre dans les communautés indiennes. D'une façon pratique, le territoire est partagé entre lopins individuels et terre communautaire dans laquelle chacun apporte la même quantité de travail. Le besoin de désaliénation tend à privilégier une orientation agroécologique de la communauté.

L'arrivée du gouvernement Morales au pouvoir a permis l'adoption d'une nouvelle constitution qui limite les titres de propriété à 5 000 Ha par personne mais ne s'applique malheureusement pas rétroactivement aux anciennes propriétés foncières qui ne sont donc pas démantelées. Par contre, il a favorisé en 2006, la libération de 16 000 Ha en dotation communautaire, puis 100 000 ha en 2008 auprès de 3 communautés.

Le débat avec la salle a été riche et a permis des comparaisons avec la situation française et l'avalanche de plans sociaux ne débouchant actuellement pas sur des reprises. Il a par ailleurs permis de préciser certains points de la part des intervenants. Un grand merci à France Amérique Latine pour cette initiative et à ses intervenants pour la qualité de l'information donnée.

Benoît Borrits

Lien : Icra international


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