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L'indestructible icône

Publié le 30 mai 2010 par Toulouseweb
L’indestructible icôneConcorde sort indemne du procčs de l’accident de juillet 2000.
Rien n’y a fait : l’attaque frontale d’un procureur de la République peu commode, le climat de suspicion créé par des avocats souvent plus adroits que compétents en matičre de sécurité aérienne et, surtout, les propos acerbes du clan des Ťy avait qu’ŕť réunissant ceux qui restent persuadés que Concorde était un appareil délicat, fragile, voire dangereux. Aucun d’eux, curieusement, n’a pensé ŕ évoquer les mots assassins de Marcel Dassault qui, avec sa célčbre voix nasillarde, avait qualifié le supersonique franco-britannique ...d’excellent avion expérimental.
Non, quatre mois de longues audiences au tribunal de grande instance de Pontoise, un défilé interminable d’experts, de témoins, d’hommes de loi, n’ont pas eu raison de l’icône, sortie indemne d’attaques tous azimuts. Reste évidemment ŕ attendre le verdict, qui sera rendu le 6 décembre. Mais, quel qu’il soit, on sait dčs ŕ présent qu’il épargnera l’avion lui-męme, tout au moins dans l’imaginaire de l’opinion publique. En clair, la France aéronautique, l’Europe aéronautique, savent gré ŕ Concorde de leur avoir donné les outils et, surtout, la confiance indispensables au lancement d’Airbus, désormais numéro 1 mondial de la construction aéronautique civile.
Personne, tout au long du procčs, avec plus ou moins de sincérité, n’a cherché ŕ occulter les effets dévastateurs du crash de juillet 2000. Il a fait 113 victimes, passagers et membres d’équipage, employées d’un hôtel de Gonesse, ravagé des familles, semé la peur et la peine. La présidente du tribunal de grande instance, Dominique Andréassier, l’a rappelé ŕ plusieurs reprises, en męme temps que d’autres intervenants et, vus sous cet angle, les débats ont été empreints de pudeur. Mais, pour le reste, quel théâtre, quelle mise en scčne !
L’acte d’accusation était sévčre, plus particuličrement ŕ l’égard d’Henri Perrier, renvoyé devant le tribunal comme supposé principal responsable de l’accident Ťpar maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement ŕ une obligation de sécurité imposée par la loi ou le rčglementť. L’accident n’en était pas moins imprévisible, notion qui n’a pas fait l’unanimité. Me Daniel Soulez-Larivičre, avocat de la DGAC et, ŕ ce titre, défenseur de Claude Frantzen, a néanmoins affirmé que ce caractčre imprévisible constituait un obstacle insurmontable ŕ la poursuite. Lŕ encore, les avis sont restés partagés.
Aussi loin que remonte la mémoire des spécialistes, aucune situation comparable ne s’était présentée précédemment dans les dossiers de sécurité aérienne. A savoir la mise en cause d’une poignée de responsables d’un avion extraordinaire, certes, mais avion du passé, entré au musée il y a maintenant 7 ans. Aussi le procčs a-t-il eu lieu parce que telle est la loi mais, avant de s’ouvrir, il avait déjŕ perdu son sens. En effet, il y avait prescription, au sens figuré tout au moins, nombre de faits analysés, discutés, contestés, remontant ŕ 30 ans ou plus. A commencer par l’incident survenu ŕ Washington en juin 1979, considéré comme un précurseur de la catastrophe de 2000. Et cela męme si des leçons sévčres en avaient été tirées, entraînant de nombreuses modifications ŕ l’avion.
Ce constat d’inutilité a évidemment été implicitement rejeté par le ministčre public et l’accusation tout entičre, ce qui était dans la logique des choses. De toute maničre, tout accident aérien survenant en France entraîne deux enquętes parallčles, l’une Ťadministrativeť, confiée au BEA, l’autre judiciaire avec procčs ŕ la clef. Une situation incontournable et ne souffrant pas la moindre exception. D’oů les cinq mises en examen et quatre longs mois de procčs, le temps de confirmer la faiblesse de cette maničre de procéder. Cela discrčtement, compte tenu de l’étonnant désintéręt des médias qui ont jugé, semble-t-il, que Pontoise était une terre bien trop éloignée de Paris et qu’il n’était pas justifié de s’y aventurer.
C’est la premičre leçon ŕ tirer du procčs. L’Association des journalistes professionnels de l’aéronautique et de l’espace compte 140 membres actifs mais deux ou trois d’entre eux seulement (ŕ commencer par le trčs assidu Patrick Lemoine du quotidien La Croix) ont cru utile d’aller ŕ Pontoise. D’autres y ont fait de rares apparitions, souvent furtives. L’Agence France-Presse, heureusement présente, a ainsi été investie de facto d’une lourde responsabilité de source unique. Elle s’en est bien tirée. Reste une question sans réponse : que sont devenus les journalistes spécialisés en aéronautique ?
Deuxičme grande leçon tirée du procčs : la sécurité aérienne est un sujet trop sérieux pour le confier ŕ des experts judiciaires. Ou, tout au moins, pour leur permettre de s’arroger la vedette, le premier rôle d’un procčs de cette envergure. Etaient-ils aussi neutres, aussi impartiaux que nécessaire ? Au fil des audiences, le doute a germé dans les esprits.
Troisičme leçon, plus délicate celle-lŕ : tout accident présente un caractčre imprévisible. Celui du Concorde d’Air France n’a pas échappé ŕ cette rčgle incontournable et, malgré cela, certains ont tenté de démontrer le contraire. Pire, des voix se sont élevées ŕ de nombreuses reprises pour mettre en doute la fiabilité de Concorde, une accusation grave laissant entendre que c’était lŕ le résultat une forme subtile de complot du silence. Tenir ce raisonnement est tout simplement indigne.
Les mises en examen, enfin, présentent un caractčre surréaliste. Deux techniciens de maintenance de Continental Airlines, tout d’abord, n’ont probablement pas encore compris ce qu’il leur arrivait. Bien sűr, ils ont été légers dans leur maničre de remplacer ce qu’il est convenu d’appeler une pičce d’usure d’une nacelle moteur de DC-10, devenue Ťla lamelle la plus connue du mondeť. Laquelle est malencontreusement tombée sur la piste de Roissy empruntée quelques minutes plus tard par le Concorde assurant le vol AF4590.
Trois Français, ensuite, retraités de longue date, qui ont occupé la mauvaise place, au mauvais moment, dans l’organigramme de leur employeur, DGAC pour Claude Frantzen, Aerospatiale pour Henri Perrier et Jacques Hérubel.
Les avocats, notamment des ténors qui en ont vu d’autres, issus de grands Cabinets, ont tous bien tenu leur rôle, tour ŕ tour adroits, finauds, diaboliques, capables de brčves incursions dans la haute technique. Quelques moments forts sont gravés dans les mémoires aprčs des interventions de Daniel Soulez-Larivičre, Fernand Garnault, Olivier Metzer (qui se prépare ŕ défendre le trader Jérôme Kerviel) ou encore Emmanuel Marsigny (sorti tout droit, aurait-on dit, de la série télévisée Avocats et associés).
Par ailleurs, les dommages collatéraux ont été nombreux. A commencer par ceux qui ont atteint Air France, simplement partie civile, sérieusement taclée ŕ plusieurs reprises. De męme qu’Aéroports de Paris, organisme curieusement absent du procčs au propre et au figuré. A l’opposé, l’image de compétence du BEA en sort renforcée, si besoin était.
Le réquisitoire, nous l’avons déjŕ souligné, a été inutilement dur et, de ce fait, nous apparaît profondément injuste. De toute évidence, le procureur a cherché ŕ prendre ses distances avec un microcosme qui ne lui inspire pas confiance. Mais dont il ne sait sans doute rien, ou si peu.
Le moment des conclusions n’est pas encore venu, sachant que le verdict ne sera connu que dans 6 mois. Une demi-année d’attente, déjŕ une punition sévčre pour les cinq personnes mises en examen. Pire, sauf en cas de relaxe générale, elles risquent de subir une forme nouvelle de double peine que rien ne pourrait justifier.
Ultime remarque ŕ la barre d’Henri Perrier, s’adressant aux juges : Ťj’attends votre décision en toute confianceť. Cela dit sur le ton d’un honnęte homme sincčrement convaincu d’avoir toujours bien fait.
Pierre Sparaco - AeroMorning
Notre illustration : Trčs entouré, André Turcat ŕ Pontoise (doc. Stéphane Chéry).

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