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"Moi mon dieu, c'est Johnny !"

Publié le 02 juin 2010 par Newwavehooker


Non, ce n'est pas moi qui le dis, mais un fan de notre star nationale, il y a quelques années dans une émission télé, peut-être bien Confessions intimes. Si je pense à cette phrase, c'est que ce qui à l'époque pouvait sonner ridicule et risible est aujourd'hui devenu presque touchant et quelque peu anachronique. Pas le fait d'aimer Johnny, mais le fait d'être dévoué à un chanteur, à un groupe, à un artiste en général.


Il y a quelques jours, un analyste musical américain écrivait sur son blog "aujourd'hui les gens achètent les Black Eyed Peas, mais il ne croient pas en eux, les gens croient en Apple". C'est terrible, mais malheureusement vrai. Encore une fois, vendredi dernier, les médias attendaient de voir les files d'attente des fans de la pomme pour la sortie de l' iPad. Des files d'attente ? Quand voyait-on des files d'attente devant les magasins avant ? A la sortie d'un album ! (un peu à la manière de mon post sur DM en dessous). Les gens attendaient l'ouverture des disquaires pour avoir l'album en premier, tout de suite, dès sa sortie. Ils n'attendaient pas un aspirateur ou un micro ondes, mais une oeuvre, une prise de position, un message. Ils étaient là pour célébrer une création. Un disque, soit, mais un objet qui contenait un parti pris artistique, peut-être politique, peut-être un message pour les aider dans leur vie, mais en tout cas quelque chose d'humain. Maintenant on fait la queue pour un contenant, un objet qui ne dit rien sans ce qu'on mettra dedans. De toute façon, sans disques, avec la musique dématérialisée, c'est certain qu'il n'y aura plus de grand messe de sorties d'album. Mais bon, de là à se rabattre sur un objet.

En soi, ça ne me dérange pas qu'on veuille à tout pris posséder un objet et retirer un plaisir de son utilisation. Je n'échappe pas à la règle. J'aurai l'iPad, comme j'ai eu un iPhone, un iPod, une Playstation, ou un Walkman. Simplement, je ne camperai pas devant un magasin comme j'ai pu attendre devant un disquaire pour la sortie de Season in the abyss de Slayer, Blood Sugar Sex Magic des Red Hot Chili Peppers ou And Justice for All de Metallica…
Je suis content que mon iPad ou mon iPhone me donnent la possibilité de me divertir, mais ça me fait mal au coeur d'avouer qu'effectivement aujourd'hui on achète de la musique presque au poids et qu'on vénère la machine. Le dieu ce n'est plus Johnny. Le dieu c'est la machine.


Je n'ai jamais trouvé ça idiot que les rockstars soient des sortes de demi dieux pour les fans. On a toujours eu besoin de héros, de repères lointains qu'on n'atteindra jamais. Besoin de voir des gens qui font ce qu'on n'osera peut-être jamais faire, dire ou même penser. C'est en cela qu'on y croyait, toute la force émotionnelle liée à la musique résidait aussi dans la personnalité et le charisme de ceux qui la faisaient. Tout ça s'évapore petit à petit. La perte du support disque, c'est la perte de l'écrin. La recherche de la rentabilité, c'est la perte de la créativité, et petit à petit de l'uniformisation du son et du discours. Il n'y a pas une tête qui dépasse aujourd'hui chez les artistes, c'est bien triste.


Alors quoi ? On se tourne vers la technologie, vers les marques qui nous promettent un futur plus simple, plus "fun", plus connecté, tous ensemble sous un logo. En vouant un culte à un groupe, on avait l'impression d'exprimer une certaine singularité, et même si nous étions des millions à partager cette pseudo singularité, c'était plutôt sain. C'etait humain et vivant. Et les artistes étaient de toutes façons des gens singuliers. Profondément. Aujourd'hui on préfère se sentir tous connectés, avançant d'un même pas. Le plus de "friends", le plus de "followers", le plus possible avec le même terminal pouvant dialoguer avec celui de son voisin. C'est réconfortant. On existe. Enfin, on le croit.


On vénère la technologie, le futur, l'objet. On finit même par lui donner notre confiance. On le laisse être notre cerveau, notre mémoire. Pourquoi apprendre ? A travers cet objet, Google répondra. Wikipédia saura. Youtube divertira. Pas étonnant qu'on vénère aujourd'hui l'objet technologique plus que l'artiste. L'objet nous promet qu'on ne sera pas moins idiot que notre voisin, qu'on aura les mêmes chances que lui, les mêmes références. L'artiste nous disait qu'il fallait être soi-même et croire à ce qu'il y avait au fond de nous. Sauf qu'aujourd'hui la musique des Black Eyed Peas est quasiment la même que le son à l'ouverture d'un ordinateur ou que celui du micro ondes qui tourne. Pas étonnant qu'on fasse la queue pour un téléphone en comparant les gigabits de musique qu'on y mettra, plutôt que de trépigner d'impatience pour un disque. Et puis un album d'untel, finalement, il a le même son qu'un autre. Presque les mêmes titres d'ailleurs.


Il n'y a pas de morale à cette histoire. La machine prend le pas sur la création. La création se fait avec des machines. Alors quoi de plus normal qu'on accorde plus d'importance à cette machine qu'à l'artiste. De toute façon, les artistes, on ne sait plus vraiment ce qu'ils ont à dire. Surtout aujourd'hui. "Moi mon dieu c'est Will. I. Am." "Moi mon dieu c'est Justin Bieber", avouez que ça sonne presque plus ridicule que "Mon dieu c'est Johnny". Des chanteurs, des groupes un peu insipides, il y en a toujours eu, c'est certain. Mais aujourd'hui il n'y a plus que ça. Vraiment. Vous trouverez peut-être ridicule que tout le monde ait le même son à la radio et que tout semble sortir du même tuyau, mais même l'underground reprend des postures déjà maintes fois utilisées et usées, dans l'espoir de survivre. C'est même parfois pire que le mainstream : "Hey, tout le monde a bien mis sa panoplie pour rentrer dans les critères de sélection de l'indie et de la hype ?" "Ok, on peut sortir maintenant". "Attends j'ai l'impression qu'on fait un peu trop propre, on risque de ne pas parler de nous dans la presse rock. Je vais marcher sur tes baskets, qu'elles fassent un peu clochard ! En plus on a fait le disque sur Protools, mais il faudrait que ça sonne un peu crade quand même, que les Inrocks nous prennent au sérieux, qu'on ne passe pas pour un produit" "Par contre si tu pouvais mettre une tête de Gnou sur un mannequin assis sur un trottoir pour la pochette, ce serait bien, parce que tout le monde utilise des animaux dans les disques bien chroniqués sur Magic ou Vice, faudrait pas se planter, faisons comme les autres"."Ouais mais on le met où le néon ?" Bref.


Et puis maintenant, la musique c'est passer son temps à voir des blogs qui énumèrent des chiffres sur l'industrie du disque, des chiffres de streaming, de téléchargement, de deal, de cloud, des graphiques, des pourcentages, des datas. Mais sinon, vous avez entendu parler d'un vrai groupe aujourd'hui ? Vous avez envie de vous lever pour un disque ? Vous avez vibré pendant des mois en écoutant un album qui ne ressemble pas à celui du voisin ? Vous avez lu quelque chose sur ces sites qui parlent de célébrer la création et la musique ? Pas vraiment, ou dans une tartufferie sans nom on met sur un piedestal des disques qui seraient passés directement par la case "minable" il y a quelques années. On tente d'effacer la mémoire collective. Mgmt nous refait un ersatz de Piper at the gate of dawn de Pink Floyd, presque note pour note et cherchant le même son. Au lieu de les mépriser et de les renvoyer à leurs études, on les encense…"Chut… On ne dit rien, on a que ça sous la main pour en faire des héros". (vous allez dire que je n'en ai qu'après eux, mais leur dernier disque est tellement symptômatique de l'époque, de par son contenu et la réaction de la presse, désolé.)

Que reste-t-il à célébrer ? Des classiques, oui et seulement des groupes ou des disques d'il y a 10, 15, 20, 30 ans. Des futurs classiques il n'y en a plus. Le reste, ce qu'on nous offre aujourd'hui, c'est juste une bande son instantanée, juste des gigabits qui passent de disque dur en disque dur, ou qui se streament.
Comment, le streaming c'est nul car on ne possède pas la musique ? Mais qui veut posséder ce qu'on nous offre aujourd'hui ? L'écouter suffit. De toute façon, demain on sera déjà passés à autre chose. Aucun groupe n'a plus le pouvoir d'envoûtement, ni les moyens d'essayer, ni peut-être l'envie d'être singulier, de se démarquer. La faute au public volatile, la faute aux groupes qui ne savent plus fédérer ? La faute à la mondialisation de l'information qui chasse la précédente ? Le téléchargement ? J
e ne sais pas, en tout cas, c'est aujourd'hui le néant. Mais tout ça n'excuse pas le manque de personnalité. Avant, personne ne se demandait jamais s'il allait gagner de l'argent en faisant ce qui lui plaisait. Maintenant, quand on dit musique, on dit "industrie" et "pourcentage", et chaque période de l'année essaie de vendre sa tendance, son son, son groupe, et demain un autre. La foi, elle a disparu au profit de la mode (qui cache le désir de rentabilité).


Pendant ce temps là, du côté de l'industrie, la vraie, on me dit que mon objet est révolutionnaire et magique. Bizarre, mais bon. Et puis, je sais que mon flipper HD 3D sur l'iPad il me coutera 3€ et j'en aurai pendant des mois, alors je vais l'acheter. Moi, mon dieu maintenant c'est la machine. Comme tout le monde. Et comme ça je pense moins à la musique qui me fatigue de se plaindre.


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LES COMMENTAIRES (1)

Par Anxic
posté le 03 juin à 08:01
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Superbe article.C'est tellement réaliste.