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Quitter les tours d’ivoire et se mouiller, non du bout du pied, mais s’immerger au monde.
Au risque de suffoquer, cueillir à bras nus les naufragés d’un siècle en perte de sens : deux bras n’y suffiront point.
*
Loin des discours pompeux, des langues mielleuses qui visent à endormir le peu de cervelle encore disponible une fois les tâches de survie remplies, écrire…
Temps volé à un autre qui participe du naufrage.
Survie de gagnes petit qui ne laisse à chaque jour que maigre parcelle de liberté conditionnelle.
*
Il en est qui s’étonnent de leur fragmentation du sommeil.
Ils voyagent, malles ouvertes sous des yeux qui ne tiennent ouvert que par le tuteur d’une allumette.
Tu les voies : ils déambulent en pas épuisés, traversent la ville comme des fantômes.
Encore ne font-ils le périple que par nécessité : l’escarcelle vide, c’est pure torture que de marcher aux devantures rutilantes, résister à la tentation d’entrer, de s’offrir un petit plaisir.
Se retenir, parce que, dans la tête, déjà sonne le téléphone :
- C’est votre conseiller financier (sic), votre compte est à découvert, comment faisons-nous ?
- Bé, j’travaille, j’passe mes journées à travailler : j’pourrais faire des économies, que j’les ferais volontiers !
- Non, mais vous proposez quoi, là, tout de suite, pour combler le trou ? Si vous ne réinjectez pas quelques sous, nous serons obligé d’avoir recours à l’interdit bancaire, avec toutes les conséquences…
- M’faites pas ça : avec quoi j’paierai l’essence pour travailler ?
- Alors, bougez-vous, faites quelque chose !
- J’pourrais peut-être revendre mon logement acheté à crédit, dormir à mon boulot. C’est vrai ça, pour le temps que j’y passe, vu qu’ma femme a déguerpi, lasse de m’attendre, avec un gigolo qui claque de l’artiche sans retenue, à quoi bon avoir encore un lit ? Un p’tit pliant dans un coin du bureau ferait bien l’affaire…
*
Tu trempes tes doigts dans l’encre
Tu fais semblant de vivre
Tu ne dis plus rien à personne
Tu n’sors plus
Tu n’dines plus
Tu fermes ta porte à double tour
Tu ouvres la fenêtre
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Manosque, 21 avril 2010
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