Lorsqu'un grand bonheur vous fait oublier le reste (ou un grand merci à Hugh Johnson !)

Par Eric Bernardin

La vie ne me fait pas vraiment de cadeaux en ce moment, et puis il y a des mails qui éclairent d'un seul coup votre existence, laissant dans l'ombre les petits soucis. Mardi soir, j'ai reçu le texte de la préface de notre livre Crus Classés du médocécrit par un certain ... Hugh Johnson ! Certes, ce n'était pas une surprise totale puisqu'il avait répondu positivement à ma demande. Mais lorsque vous l'avez sous les yeux et commencez à la lire, vous vous pincez à de nombreuses reprises pour vérifier si vous ne rêvez pas !

Elle était écrite en anglais, mais à peine lue, j'en commençais la traduction. Mercredi soir, je lui renvoyai ma copie. Et le lendemain, je recevais son accord : "cela me paraît parfait" m'a-t-il simplement répondu. Voici donc le texte de cette préface qui m'a tant ému : 

Carte de Louis Larmat (source)


"J'ai le sentiment d'avoir assisté à la naissance progressive de ce livre au fil des cinquante dernières années de ma vie.

Peut-être connaissez-vous l'Atlas de la France vinicole, projet lancé durant la Seconde Guerre mondiale par Louis Larmat, un éditeur parisien, consistant à cartographier les toutes nouvelles Appellations d'Origine Contrôlée. Il m'avait inspiré pour mon Atlas mondial du vin, écrit en 1970. J'y avais ajouté le dessin d'un chai en coupe (le cru bourgeois château Malescasse) pour expliquer aux lecteurs son organisation et son fonctionnement. À cette époque, je trouvais ce concept pour le moins révolutionnaire.


Dans les années 1970, l'auteur néerlandais Hubrecht Duijker produisit une série de livres illustrés avec les photos des domaines viticoles et de leurs propriétaires, complétées par des cartes. Petit à petit, l'idée d'associer dessins didactiques, cartes et photographies pour une présentation exhaustive d'un domaine a fait son chemin dans de nombreuses publications. Pour aboutir aujourd'hui à sa plus belle expression dans ce livre d'Éric Bernardin et Pierre Le Hong.


En combinant le récit de leurs recherches, les informations techniques fournies par les châteaux et les photographies des lieux et des personnes qui y travaillent, ils entraînent le lecteur dans une visite virtuelle de chaque domaine. Ils publient également – je pense pour la première fois – la localisation et la nature géologique précises de chaque parcelle contribuant à produire le vin d'un château. En d'autres termes, la définition physique de chaque terroir.

C'est quelque chose que j'ai tenté de faire il y a 40 ans pour mon Atlas des vins, mais j'avais rencontré alors une réticence des propriétaires à me livrer ces détails. Après des années de lutte avec les plans cadastraux dans les mairies médocaines, j'ai finalement abandonné l'idée de collecter ces informations. Ici, dans cet ouvrage remarquable, tout le monde peut enfin y avoir accès. En vérité, il est difficile de trouver des questions techniques qui ne sont pas abordées dans ce livre.

Dans un chapitre consacré à l'un des châteaux, les auteurs racontent la conversation téléphonique longue distance entre un journaliste étranger et le propriétaire, le premier lui posant sans cesse de nouvelles questions à propos du dernier millésime. Ce dernier, gagné par la lassitude, finit par lui répondre : « Vous êtes bienvenu au domaine pour venir le déguster par vous-même. » Ce qui est naturellement l'essentiel. Peut-être ce livre soulagera les propriétaires de ce genre de conversation jusqu'au milieu de la nuit. Car c'est la meilleure visite virtuelle du Médoc que vous pourrez jamais trouver. Laissant à la dive bouteille sa part de splendeur et – Dieu merci – de mystère.

Ce que vous devez comprendre du Médoc (et de Bordeaux en général), c'est que ses vins sont surtout des interprétations personnelles d'une certaine tradition (une recette, si vous voulez) ; ils le doivent peu à la nature. Un cru de la Côte d'Or peut être considéré comme une expression quasi prévisible d'un cépage en un lieu déterminé. Ce n'est pas le cas du Médoc. Les Crus Classés possèdent les meilleurs terroirs d'une région déjà privilégiée, dont ils font leur propre interprétation : les vins qui en résultent sont faciles à reconnaître, mais difficiles à décrire et encore plus à comprendre. Vous ne trouverez pas de meilleure tentative de réponse que ce livre qui est entre vos mains."

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