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Robert Bourassa est mort de rire…

Publié le 04 juin 2010 par Politicoblogue

Robert Bourassa est mort de rire…Oui, Bourassa n’est pas que mort.  Il est aussi mort de rire.  Pourtant le ridicule ne tue pas ; c’est du moins l’adage populaire.

Il semble que le peuple se trompe ; le ridicule tue et la grande victime, c’est notre langue qui meurt à petit feu. « Vous êtes pas écœurés de mourir, bande de caves? » disait Claude Péloquin, poète.

Le gouvernement Charest, en présentant le projet de loi 103, donne l’impression que Robert Bourassa était un homme déterminé, droit comme un chêne et sûr de lui.  Ce n’est pas peu dire.

Jadis, un caricaturiste que je ne saurais identifier, par un dessin posait la question suivante : « Comment faire mourir de soif Robert Bourassa dans le désert? »  Le dessin illustrait un Bourassa assoiffé, avec devant lui deux verres d’eau.  L’auteur répondait lui même à la question en disant quelque chose qui ressemblait à « En lui offrant deux verres d’eau et en lui demandant de n’en choisir qu’un ».  Si quelqu’un trouve le dessin original, je suis preneur…

Jean Charest est véritablement, tel que le PLQ l’a auto-proclamé l’an dernier à Laval, un digne successeur de Bourassa.  Peut-être pas comme étant un grand bâtisseur, comme ils préfèrent le crier sur tous les toits avec chauvinisme, mais plutôt parce qu’il n’a pas su choisir entre l’anglais et le français et affirmer la volonté de la majorité québécoise.

Revenons dans le passé quelque peu pour comprendre l’enjeu.

À la fin des années 60, c’est l’Union nationale qui est au pouvoir.  Dans un Québec en pleine effervescence, l’affirmation nationale prend toute son importance.  La dénomination « Québécois » remplace la traditionnelle appellation de « Canadien français ».  Le slogan Maîtres chez nous, popularisé par Jean Lesage, n’a jamais été aussi évoqué.  Les Québécois comprennent qu’ils ne sont pas nés pour un petit pain.  L’époque  – pas lointaine-du-tout- où les dirigeants anglophones du CN pouvaient dire sans aucune gêne qu’ils engageraientt bien des dirigeants francophones s’il y en avait des compétents est bel et bien révolue.

Les Québécois francophones ont franchi un point de non retour : ils veulent se faire respecter.

Robert Bourassa est mort de rire…
Jean-Jacques Bertrand, Premier ministre du Québec (1968-1970)

Dans ce contexte, nous accueillons, comme de tout temps dans notre histoire, beaucoup d’immigrants.  Le lendemain de la Seconde guerre mondiale a notamment poussé plusieurs Italiens à venir s’établir en terre québécoise.  Étonnamment, malgré des souches latines communes aux francophones, plusieurs immigrants italiens vont préférer inscrire leurs enfants dans des écoles anglophones.  Ils ne sont pas les seuls ; la très vaste majorité des immigrants refusent à l’époque d’envoyer leurs enfants à l’école francophone­.

La commission scolaire de Montréal (CECM) comprend les inquiétudes des francophones du quartier St-Léonard, qui accueille beaucoup de ces immigrants, prend sur elle d’imposer le français, au grand désarroi de la communauté italienne.  Ainsi, le Premier ministre de l’époque, est confronté à ce qu’on appelle encore aujourd’hui la crise de St-Léonard, la première crise linguistique majeure qui a touché le Québec.  Nous sommes en 1968.

Jean-Jacques Bertrand, que plusieurs vont jusqu’à qualifier de pire Premier ministre de notre histoire, tente de trouver un compromis.  Celui-ci sera la loi 63. Bien que le nom officiel de la loi soit la  Loi pour promouvoir la langue française au Québec, celle-ci ne leurre personne : elle confirme bel et bien le libre choix de la langue d’enseignement pour les immigrants, malgré l’obligation de recevoir des cours de français.

Avec le Bill 63, Jean-Jacques Bertrand perd deux de ses députés insatisfaits et met la population francophone en colère. L’Union nationale ne s’en remettra jamais.  Elle sera vouée à une longue agonie jusqu’à sa disparition définitive au début des années 80.  L’opposition s’indique, que ce soit les libéraux ou le tout jeune PQ.  Le Front de libération du Québec (FLQ) va même mentionner la loi 63 dans son désormais tristement célèbre manifeste, lu sur les ondes publiques de Radio-Canada pendant la Crise d’Octobre 70.

Robert Bourassa est mort de rire…
Robert Bourassa, Premier ministre du Québec entre 1970 et 1976 ainsi qu’entre 1985-1993

C’est sans surprise que Robert Bourassa déloge l’Union nationale aux élections de 1970.  Il faudra toutefois attendre en 1974 pour que celui-ci adopte la loi 22.  Celle-ci faisait enfin du français la langue officielle du Québec.  Le hic, c’est que l’accès à l’école anglaise était toujours possible, à la condition de démontrer la connaissance de l’anglais suite à la réussite d’un test linguistique.  D’un côté, les anglophones sont mécontents parce qu’ils comprennent qu’on adopte le français comme langue officielle et qu’on limite l’accès à l’école anglaise.  De l’autre, les francophones trouvent qu’on ne garantit pas la survie du français avec des tests bidon, des tests que des faux-anglophones peuvent réussir.

Tenter de plaire à deux camps avec deux demi-mesures équivaut à déplaire à tous.

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Camille Laurin, père de la loi 101 sous René Lévesque (1976-1985)

En 1976, le Parti Québécois prend le pouvoir.  La loi 22, sans être la cause de la défaite libérale, a certainement été un facteur de celle-ci.  C’est Camille Laurin qui met en place la désormais célèbre loi 101.  Celle-ci, en plus de confirmer l’officialité de la langue française au Québec, oblige tout enfant d’immigrant à aller à l’école en français, à moins d’avoir un parent lui même anglophone et ayant a reçu son éducation en anglais au Québec.  C’était une façon de protéger le droit des anglophones qui sont là depuis plusieurs générations, sans mettre en péril la langue française.  Le reste de l’histoire s’explique comme suit : le gouvernement fédéral et différents groupes de pression vont tenter de limiter les dispositions de la Loi 101.

Sans entrer dans les détails, mentionnons tout de même qu’en 1982, la constitution du Canada a été rapatriée de Grande-Bretagne, sans l’accord du Québec.  Trudeau, Premier ministre canadien de l’époque, va y laisser sa marque en adjoignant à celle-ci la Charte des droits, modifiant fondamentalement le rapport de forces initialement prévu en 1867 entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.  C’est par un coup de force que le Québec a dû se soumettre à celle-ci.

Depuis, aucun gouvernement québécois, souverainiste comme fédéraliste, n’a voulu signer cette constitution.  C’est à cause de cet événement que le dossier constitutionnel fut si important jusqu’en 1995, moment du deuxième référendum sur la souveraineté.

Hors, même si elle est quasi-unanimement jugée illégitime au Québec, cette nouvelle constitution est tout de même en vigueur.  Trudeau, apôtre du multiculturalisme, avait bien calculé les choses à l’époque.  Selon lui, la loi 101 était une aberration et l’imposition d’une Charte des droits était sa façon à lui de limiter le pouvoir du Québec de choisir le français comme seule langue officielle.  Son Canada, il le voyait multiculturel.  Le fait français, pour lui, avait la même valeur que le fait ukrainien, le fait chinois ou le fait pakistanais.

Robert Bourassa est mort de rire…
C’est sans l’accord du Québec que Trudeau a rapatrié la constitution, en 1982.  Celui-ci va y intégrer la Charte canadienne des droits et libertés qui limite le pouvoir de légiférer du Québec.

Depuis, la loi 101 a été contestée à maintes reprises devant les tribunaux.  Or, ceux-ci interprètent la constitution.  Comme l’a dit Duplessis : « La Cour suprême et la tour de Pise, c’est du pareil au même.  Ça penche toujours du même bord. »  C’est particulièrement vrai avec la loi 101.  Celle-ci invalidé à la pièce des dispositions de notre loi, pourtant démocratiquement adoptée.  Nos gouvernements ont dû voter toute une série de lois pour amender la loi 101 afin de la rendre constitutionnellement acceptable.

Trouvez l’erreur.

Il existe tout de même une clause spéciale dans la constitution canadienne – la clause nonobstant – qui permet à une province de passer outre un droit, de manière exceptionnelle.  Cette dérogation est d’une validité limitée puisqu’elle doit être renouvelée aux cinq ans.  Un gouvernement qui l’utilise doit toutefois se justifier et, en cas d’abus, en payer le prix politique.  Imaginez qu’un gouvernement ait besoin de limiter, par exemple, le droit à la vie privée.  Le prix politique serait tellement élevé qu’aucun gouvernement n’oserait l’invoquer.  Or, dans le cas de la protection du français, l’utilisation de la clause serait justifié.  On ne parle pas d’emprisonner les anglophones, mais bien d’interdire les écoles passerelles.  C’est bien loin du IVe Reich.

Ni les libéraux, ni le PQ n’ont eu le courage politique nécessaire pour invoquer la clause nonobstant dans le cas des écoles passerelles.  Ces écoles privées non-subventionnées permettent à des enfants d’immigrants de prendre des raccourcis afin d’accéder à l’école subventionnée anglaise, ce qui va à l’encontre de l’esprit de la loi 101.  Le PQ a bien tenté en 2002 de colmater les brèches dans la loi 101, mais c’est justement ce colmatage de brèches qui a été invalidé par la Cour suprême l’an dernier.

En lieu et place à la clause dérogatoire, Jean Charest a préféré inventer une émule de la loi 22, la loi 103. Celle-ci mettra des balises – que personne ne semble comprendre d’ailleurs – aux écoles passerelles.  Une série de critères complexes avec un pointage va permettre de déterminer si un enfant a accès à l’école anglaise.  À côté de ça, une grille de correction d’examens du Ministère de l’Éducation a l’air limpide.

N’empêche que la réalité est simple : il sera possible, pour un enfant d’immigrant – et sa famille immédiate – d’accéder à l’école anglaise s’il a les moyens de fréquenter le secteur privé non subventionné pendant un certain laps de temps.  En d’autres termes, si tu es riche, tu peux t’acheter le droit, au bout de trois ans, d’accéder à l’école en anglais.

N’en déplaise aux libéraux, Jean Charest n’a pas eu le courage de défendre le français parce qu’il a peur d’un schisme au Parti libéral.   La pression était très forte, semble-t-il, chez ses députés anglophones.   Un problème de financement en vue peut-être?

Qui peut nier que la loi 101 ait eu un effet positif sur l’intégration des immigrants?  Nés après 1977, les enfants d’immigrants, qu’on appelle aujourd’hui les enfants de la loi 101, parlent aujourd’hui un français aussi bon, sinon meilleur que bien des Québécois dits de souche.  Ils sont intégrés à la société québécoise parce que la loi ne leur en a pas donné le choix.  On ne peut toujours pas en dire autant de leurs parents, qui ne sont pas passés par le système scolaire québécois. L’école en français, c’est le meilleur moyen d’assurer la pérennité de notre langue et d’éviter l’exclusion des immigrants.  Les statistiques convergent toutes vers le même constat : l’anglais a un pouvoir d’attraction beaucoup plus grand que le français.  Sans protection juridique musclée, le français est voué à disparaître en Amérique du Nord.

Nous manquons cruellement de leadership au Québec.

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