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L’amour vénal…

Publié le 04 juin 2010 par Paristoujoursparis

Un beau texte de Francis Carco sur la condition des filles, extrait de L'amour vénal, ouvrage publié en 1927 et qui devait être une recueil d'article. Je reviendrai ici sur l'oeuvre de “M'sieur Francis”, un personnage de mon panthéon personnel.

Les bordels, il pouvait en parler, car il les connaissait… Lui!

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Quel gentleman, à la lecture des précédents chapitres, n'aurait comme le droit d'exiger une peinture moins amère de ses propres aberrations? Lui aussi aime les filles et fait coïncider un séjour à Paris avec le palpitant désir de les mieux approcher. Pourtant, où qu'il les ait priées de satisfaire un goût dont il rougit, il n'a point remarqué qu'elles fussent si méprisables. A l'en croire, de nous deux, c'est lui qui m'en remontrerait et me fournirait des adresses. Dieu me garde de le détromper ! Ce cynique personnage en serait trop mortifié et l'idée qu'il emporterait de la fête parisienne la lui ferait voir sous un jour déconcertant. Or si, par des peintures qui ne sont point forcées, j'ai mis à nu la plaie secrète dont souffre une grande cité, ce n'est pas un remède ensuite de bander cette plaie de telle sorte que le pus y fermente et gagne tout alentour.

Je ne suis pas un moraliste. Néanmoins, élevons le tarif d'une humble fille des rues, changeons jusqu'au décor où ses charmes se produisent. Rien ne sera changé. Feriez-vous, par hasard, la différence entre une prostituée de bas étage et telle hétaïre à la mode qu'on paie cher, à moins de vouer à l'une des deux un intérêt particulier? Nous ne saurions l'admettre, d'autant que, comme l'affirmait Jean de Tinan : « Les femmes chères, c'est les femmes bon marché qui ont vieilli. » La question, tout entière, est donc fixée sur ce point. J'ajouterai que, dans le cas ou des raisons de prix interviendraient et donneraient à qui n'est point gêné par elles, un semblant d'élégance, celles-ci n'excusent point, à mes yeux, un homme de s'y commettre. A ce compte, où marquer la limite de la crapule et des honnêtes gens ? Je la trouve dans le cœur de chacun, car l'argent, à lui seul, est déjà condamnable quand on l'emploie à satisfaire de bas instincts ou à les travestir de telle sorte qu'il sauve les apparences. N'est-ce point à l'argent que de vieilles dames intrigantes vendent couramment leurs filles? Et pour quel usage, s'il vous plaît? Celles-ci, dans le trafic où elles sont échangées, ont beau prétendre aux plus hauts sacrifices, elles sont souillées dès l'origine, et le moins qu'on leur puisse demander est qu'elles ne tirent point vanité de l'écart entre le prix qu'on les paie et celui que de moins favorisées qu'elles acceptent de recevoir pour salaires à leurs maux.

Tant d'innocentes tombent dans la galanterie qu'il faut bien accuser l'argent de les y avoir entraînées. Sans lui, sans la force qu'il a eu de tout temps sur l'imagination des femmes, que de pauvres créatures seraient conservées aux fonctions pour lesquelles la nature les avait préparées ! Il subsiste parfois, chez quelques-unes, un goût de la décence et des bonnes manières qui détonne dans leurs mœurs et fait se moquer d'elles cruellement les honnêtes femmes qui, plus habiles ou mieux élevées, n'ont jamais eu qu'une chance, bien placée à courir. Pensez-y ! D'autre part, dans ces mornes faubourgs de Paris, où la misère lutte comme elle peut contre l'enseignement du théâtre, du ciné et du roman-feuilleton, quelle défense trouveront des enfants contre la provocation du luxe? Les plus sages n'ont qu'un amoureux, et la vie s'ouvre devant elles dans son quotidien effacement. Faut-il les plaindre? A leur âge les rêves les plus fous ont cependant une apparence de crédibilité. Ils sont nés de lectures mal comprises et d'une profonde ingénuité. Ajoutez à ces plates considérations le goût secret qu'ont certains hommes de tout corrompre. La vertu, quand elle est rehaussée par les attraits de la beauté, prend sur ces hommes un tel pouvoir qu'ils n'en discutent plus le prix. Où donc sont les coupables? Ce gentleman qui, tout à l'heure, semblait avoir quelque motif de s'indigner, n'a-t-il jamais eu à se reprocher une intrigue dont les suites lui échappent? C'est pour cela que j'ai tant insisté sur la misère du vice. Ma complaisance à la décrire n'est point licencieuse. Elle n'est, hélas ! que trop fondée dans ses détails, et les malheureuses, qui les ont connus dans leur quotidienne existence, me donneront sans doute raison d'éclairer sur les conséquences d'un coup de tête de plus jeunes qu'elles, à leurs débuts. Ces lamentables épaves n'ont point toujours été telles que nous les voyons. Certaines ont connu l'opulence et les hommages les plus illustres. Elles en parlent quelquefois. Elles s'attardent sur leurs souvenirs … puis, comparant l'état où elles se trouvent avec celui de leurs belles années, forment un chœur d'étrange désolation. Villon, qui a vécu près de mêmes femmes à leur déclin, mesurait déjà le tragique intervalle qui sépare l'adulation du plus grossier mépris. Qui lui reprocherait un cœur si tendre? Bien plus, par un soudain détour qui va de l'âme aux déchéances que lui impose la recherche des plaisirs, il pleure sur sa propre jeunesse et met en garde quiconque en a encore le temps …

Beaux enfant vous perdez la plus
Belle rose de Vos chapeaux! …

soupire-t-il plaintivement. .

Pourrions-nous avoir un but moins désintéressé? Ce serait méeonnaître les desseins de l'auteur et l'accuser gratuitement de prendre à son récit un goût immodéré. Quel bénéfice tire-rait-il d'une pareille narration s'il ne songeait au contre coup qu'elle doit avoir sur des lec-teurs moins informés que lui? Il pense à leur donner comme l'occasion d'opérer sur eux- mêmes un examen de conscience et par là à les fortifier contre un penchant si enraciné dans le cœur qu'il faut pour le combattre, le mener au grand jour.

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