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Ségolène Royal et l'élection du désalignement

Publié le 04 juin 2010 par Exprimeo
La pré-présidentielle se déroule actuellement dans un contexte assez irréel. Les sondages tombent mais ignorent le second tour comme si la présidentielle se jouait sur un tour alors même que la capacité de gagner le second tour fonde le vote utile, réflexe décisif pour le premier tour. Mais surtout, ces enquêtes sous-estiment une caractéristique probable majeure de 2012 : l'élection du désalignement. Les problèmes perçus par les Français sont tellement graves et immédiats (délinquance, chômage, exclusions multiples, dette publique…) qu'ils ouvrent l'âge de faire et bien davantage de faire vite. C'est donc un profil de caractère avec une forte dose de volonté qui est actuellement attendu. Le sentiment de menaces progresse fortement dans toutes les enquêtes comme dans toutes les catégories sondées. Ce sentiment change complètement la donne. Les prochains programmes présidentiels devront être marqués par la praticité. Ils doivent entrer rapidement dans les faits. Ils doivent être utiles pour rendre la vie plus simple et plus sûre. C'est à la valeur d'usage que les " citoyens consommateurs " vont apprécier l'impact des propositions loin des dogmes habituels. Les institutions de 1958 ont installé un régime mixte. La réduction du mandat présidentiel à 5 ans a constitué dans les faits une évolution décisive dans l'émergence d'une présidentialisation incontestable. Le rapprochement des élections législatives du scrutin présidentiel a accentué cette évolution. De 2002 à 2005, des facteurs purement conjoncturels ont atténué l'impact de ce changement structurel. Tout a changé en 2007. Le pays est entré dans un régime présidentiel. Toute sa vie politique est axée sur la mise en oeuvre du contrat passé entre le Président et les Français lors du vote présidentiel, seul scrutin où la France constitue une réelle circonscription unique. Cette confirmation à part entière a profondément modifié le paysage politique dans de nombreux domaines : - la personnalisation des forces politiques est renforcée, un parti politique ne peut exister que s'il a capacité à porter en son sein un vrai présidentiable, - la fonction de Premier Ministre est appelée à connaître des aménagements juridiques majeurs, - la majorité parlementaire ne peut que se positionner par rapport au contrat présidentiel. Il s'est produit beaucoup de changements dans le style de vie des Français au cours des dernières années. Beaucoup plus de changements que ceux notés ou mis en évidence par les observateurs traditionnels. La crainte généralisée du chômage, le constat unanime des dysfonctionnements institutionnels, la perte de réactivité syndicale, une érosion certaine du niveau de vie…: toutes ces modifications constituent un nouvel état d'esprit qui ne peut pas ne pas avoir de conséquences politiques majeures. Il serait prématuré de parler de " réorientation des appartenances politiques " à terme mais il est temps de parler d'un nouvel alignement de certains électorats. L'élection présidentielle 2012 fait beaucoup penser à l'élection américaine de 1980. C'est l'élection qui n'a respecté aucun des fondamentaux traditionnels. Pourquoi ? La fin du mandat de Jimmy Carter avait été dominée par un tel sentiment de pagaille et d'échecs que les électeurs voulaient tourner la page au plus vite. Ce choc électoral fut tel que cette élection est devenue un sujet privilégié d'études universitaires. Qu'en ressort-il ? Les électeurs n'ont pas voté pour Reagan par souci de conservatisme. 11% d'entre eux ont voté pour Reagan parce qu'il était conservateur, mais seulement 37 % des électeurs de Jimmy Carter en 1976 lui sont restés fidèles en 1980, le climat particulier de 1980 a conduit des groupes électoraux dont les Noirs et les Hispanos à remettre fondamentalement en cause leurs soutiens classiques. Bref, ce fut l'élection du désalignement. Les traumatismes collectifs sont désormais tels en France et les repères institutionnels traditionnels frappés d'une telle paralysie, que ce schéma de désalignement parait désormais ouvert. La prochaine élection présidentielle rassemble donc tous les éléments pour échapper aux répartitions habituelles des forces politiques. En France, avec l'éclatement de l'offre politique, le jeu est plus compliqué. Les conditions de sortie de la crise économique comme les conséquences pratiques qui en seront tirées par les principaux responsables politiques vont redistribuer les rôles. Le vrai lancement de l'élection présidentielle interviendra à ce moment là. Le choc s'annonce entre les "candidats sortants" : Nicolas Sarkozy ou Martine Aubry comme candidate du PS et les "nouveaux candidats" : ceux qui vivent le désalignement. Dominique de Villepin se positionne comme le candidat du "retour de l'espoir" : rendre une place aux rêves pour chacun comme projets de vie. Ségolène Royal semble se placer en candidate du terrain, des "régions", de la "Province", là où la "vraie vie" se déroule. Si la mode passe au désalignement, les "candidats classiques" seront trop décalés par rapport aux attentes de l'opinion. Le défi pour Ségolène Royal réside une nouvelle fois dans la gestion des primaires du PS : est-il possible de capitaliser cette valeur ajoutée de singularité en se présentant à un collège classique de militants ? Là sera l'un des tournants de la pré-présidentielle 2012 en sachant que le PS n'a pas traité un enjeu décisif : comment le parti se met à disposition du candidat élu s'il n'est pas celui des actuelles instances du PS ? C'est étonnant que cette question n'ait pas été traitée à ce jour par un protocole officile car c'est pour partie le retour à la case 2007.

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