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L’eau et le sang

Publié le 08 décembre 2007 par Philippe Thomas

Poésie du samedi, 97

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Projection
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J’ai relevé mon col de pluie
mes mains fouillent dans les étoiles
j’invente des bateaux qui prient
et des chapelles à rebours

aux cailloux je donne des noms
qui ne sont pas des calembours
aux gueux l’octave de mon cri
aux mers le plissé de mon front

la lune endort des gosses froids
que crucifient les carrefours
je suis le cri le rêve et l’ange
capables d’enfoncer la nuit

j’ai rendez-vous avec des ciels
où mon poème trouve place
la mer me ronge les genoux
j’ai le visage de la foule

ceux qui n’ont pas connu le poids
de la misère et n’ont jamais
porté que l’ombre d’une croix
s’en iront sans avoir compris
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Pierre Loizeau ( ? ? - ? ?) L’eau et le sang, Edition des jeunes auteurs réunis, Paris 1956.

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Je ne sais plus au juste quels échos avec l’actualité ou avec mes pensées a éveillés ce poème. Je me suis dit, voici quelques jours que c’était le poème en phase avec mon actualité. Il est extrait d’un recueil dont le titre, L’eau et le sang, annonce que là, le poète entend aller à l’essentiel en captant ces flux qui irriguent la vie et sont l’énergie vitale même. Il y parvient fort bien à mon avis. Ce qui me fait regretter de ne rien connaître d’autre de ce Pierre Loizeau, dont aucun autre recueil n’est annoncé ou mentionné sur ce petit volume paru en 1956. 

En interrogeant un moteur de recherche, j’ai bien trouvé mention d’un Pierre Loizeau, maire de Montournais, un patelin près de Pouzauges en Vendée. Le zigue est présenté comme professeur d’anglais à la retraite mais il eût publié bien jeune, à moins que sa retraite ne dure depuis longtemps… Je n’ai pas encore osé passer un coup de fil du genre : « Allô ?  Monsieur le maire ? Ici, Fraise des Bois. Dites, c’est bien vous le poète de l’eau et du sang ? » Pourquoi n’ai-je pas osé ? Sans doute parce qu’il est rarissime que des poètes deviennent des élus (du suffrage universel) ou que des élus se mettent à taquiner les muses ….

Ils sont rares et je le déplore. Spontanément, je n’en peux citer que deux, Claude Boutet, l’ancien maire de Bressuire et Roland Nadaus, mon pote qui fut longtemps maire de Guyancourt sans cesser d’être poète. Je crois qu’il faudrait recenser les maires poètes ou les poètes maires (ou députés, etc…) et faire une étude savante sur eux, leur action, leur vie, leur œuvre. Il me semble, très intuitivement, que leur vision des choses ainsi que leur manière de faire ont quelque chose de plus que le commun des élus. Une humanité plus authentique que chez la plupart des carriéristes politiques dont les mœurs sont plus proches de celles du monde de l’entreprise le plus féroce. J’y reviendrai un jour. En attendant, encore une dose de Pierre Loizeau :
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L’arbre nouveau
.
D’aussi loin
que l’homme souffre en moi
mon corps est une croix tombée

si les chiens dorment laisse-les dormir
comme le chanvre autour du bras
j’ai ligoté mes souvenirs

à moi les proues sculptées des vieux navires

nous avions tant vécu
les grandes routes empierrées
et la grande déroute
des mots
qui lèvent l’homme contre l’homme
et se sont retournés contre nous
qu’il fallait bien nous arrêter

j’ai besoin d’un poème nouveau

nous qui ne sommes d’aucun pays
ni d’aucune croyance
nous qui n’avons ni femme ni fortune

nous connaîtrons l’orgueil
de l’arbre seul comme un regard de dieu

à nous tout l’arbre solitaire
à nous mes couteaux dans le bois
l’arbre prenait des airs de croix
qu’on ne fera plus

les croix tombées ne peuvent plus prier
et je dénonce la défaite
d’une croix plantée sur la mer

tu me disais que c’était le dernier signe
d’un bateau en perdition
d’un bateau tout seul depuis des millénaires
la rose effeuillée des vents que les vents ballottent
a remarqué l’endroit de sa mort

d’une croix d’un bateau
j’ai besoin d’un poème nouveau

mais les forêts n’ont pas brûlé
il fallait bien que je m’arrête
aux figues éclatées
au raisin pressé sur l’autel de pâques

un naufragé m’a dit
la terre c’est plus grand que cela

d’aussi loin que l’homme souffle en moi
il fallait bien que je m’arrête
où j’ai vu tant de choses

de l’arbre enraciné dans un sang neuf
j’y signerai le regard des hommes
monte monte le sang
j’ai besoin d’un poème nouveau


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LES COMMENTAIRES (1)

Par sioux
posté le 11 juin à 10:43
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je suis la fille d pierre Loizeau qui est originaire de Pouzauges mais n'est pas le maire en question. Il est décédé voici quelques années. je suis très touchée de voir que certains le lisent aujourd'hui avec tant de sensibilité. Il s'agissait pour lui d'un livre de jeunesse qu'il trouvait parfois bien naïf mais il restait fier de ce recueil malgré tout, je crois.Je le relis souvent moi aussi avec beaucoup d'émotion. bien à vous

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