[article écrit avec Frédéric Lohier]
Voilà en résumé le communiqué que j’ai reçu il y a quelques semaines. Communiqué envoyé par la société française Ashelvea qui fabrique des ordinateurs.
« Un ordinateur 100% écolo ? Vous ne rêvez pas, il existe ! (…) Présentation de l’ordinateur le plus propre du monde ! Les ordinateurs Ashelvea ont vraiment toutes les qualités : design et colorés, ils respectent la planète de A à Z avec, par exemple, des coques en bioplastique, biodégradables en fin de vie ; des composants sans aucune substance toxique référencée ; une utilisation conçue pour diminuer sa consommation électrique ; un recyclage complet ; des emballages réduits au minimum …
Vive Le Monde d’Après ! qui réunit les objets et projets verts de demain ! »
Je trouve particulièrement positif qu’une entreprise française se lance dans la fabrication d’ordinateurs dont l’empreinte environnementale est réduite par rapport à des modèles traditionnels non éco-conçus. Cependant, cette entreprise ment aux consommateurs en leur laissant croire qu’un ordinateur n’est pas un déchet toxique. Explication point par point en m’appuyant sur cet article de référence sur le greenwashing.
Péché d’imprécision
Rappel : toute prétention mal définie ou dont la définition est si vague qu’elle peut prêter à mauvaise interprétation par le consommateur ciblé.
- « un ordinateur 100% écolo » ne veut absolument rien dire. L’écologie est la science qui analyse les relations entre les formes de vie et leur écosystème (Wikipedia). Si cet ordinateur est « 100% écolo », cela signifie qu’il est dédié à l’analyse des relations des formes de vie avec son écosystème. Bien entendu, Ashelvea n’est pas la seule société à utiliser cet abus de langage. Mais dans une communication officielle, l’entreprise devrait utiliser un vocabulaire précis. Le recours à ce terme (« écolo ») vise ici clairement à induire le consommateur en erreur, ou, plus grave, montre que l’entreprise ne maîtrise pas son sujet…
- « ils respectent la planète de A à Z ». Si les ordinateurs d’Ashelvea respectaient la planète « de A à Z », leur processus de fabrication, leur commercialisation, leur utilisation et leur fin de vie – bref toutes les étapes du cycle de vie de l’ordinateur - n’auraient pas d’impact négatif sur l’écosystème terrestre et les formes de vie qui le constituent. Or, tous les lecteurs de ce blog savent depuis longtemps que pour fonctionner un ordinateur consomme de l’énergie, et que sa fabrication et sa fin de vie sont particulièrement polluantes. Il est aujourd’hui impossible de recycler un ordinateur de A à Z. Le recyclage des écrans plats pose par exemple problème. Et le recyclage lui même génère des nuisances environnementales.
Péché d’absence de preuve
Rappel : toute prétention environnementale qui ne peut être étayée par une information facilement accessible, ou par l’agrément d’une tierce partie
- « Ordinateur 100% écolo », « respectent la planète de A à Z » : outre le péché d’imprécision (voir ci-dessus), rien ne vient prouver que cet ordinateur est effectivement éco-conçu. Aucune certification officielle ni écolabel indépendant, comme EPEAT, TCO, l’écolabel européen ou encore Blue Angel, n’est affiché.
- « une utilisation conçue pour diminuer sa consommation électrique » : Aucun chiffre n’est avancé. Le minimum aurait été de communiquer la puissance en Watts ou la consommation par an en kWh selon le protocole proposé par Energy Star
- « Des emballages réduits au minimum » : Aucune précision sur le poids ni comparaison avec un emballage habituel
Péché du moindre des deux maux
Rappel : toute prétention environnementale qui peut se vérifier dans une catégorie de produits, mais qui pourrait détourner l’attention du consommateur sur les impacts environnementaux de l’ensemble de la catégorie (ex : tabac bio)
- « l’ordinateur le plus propre du monde » Nous sommes très proche de l’exemple du tabac bio donné par TerraChoice pour illustrer ce péché. Rappelons-le une fois encore : un ordinateur, même éco-conçu, n’est pas « propre » ou « vert » ou « écolo ». Un ordinateur est composé de matériaux hautement toxiques pour l’environnement et les êtres humains. Par exemple, un gramme de mercure (il y en a beaucoup plus dans chaque ordinateur…) pollue 1 m3 de terre ou 1000 m3 d’eau pendant 50 ans. Non, un ordinateur n’est pas « propre ». Il aurait été plus juste (sous réserve des preuves nécessaires) de dire qu’il s’agit de « l’ordinateur neuf le moins polluant du monde ».
Péché du mensonge
Rappel : toute prétention environnementale qui, après vérification, s’avère fausse
- « des composants sans aucune substance toxique référencée ». Ah bon ? Les composants électroniques tels que l’écran, la carte vidéo, la carte mère, le microprocesseur, le disque dur, etc. ne sont pas toxiques et ne sont pas soumis aux directives européennes REACH, EuP, WEEE, RoHS ? On peut donc les composter ? Alors là chapeau ! Plus sérieusement, cette formulation laisse clairement penser que l’ordinateur ne contient pas de composants toxiques, ce qui est l’inverse de la réalité.
- « Un recyclage complet ». Un recyclage complet signifie que 100% des composants de l’ordinateur ont été réutilisés. Or, pour l’instant, aucun spécialiste n’est capable de recycler 100% des matières qui composent un ordinateur. C’est notamment le cas des écrans plats qui sont stockés en attendant qu’on trouve des méthodes de démantèlement et de neutralisation économiquement viables.
Au final, l’attitude de cette entreprise est dangereuse car elle laisse croire qu’un ordinateur n’est pas un déchet toxique. Véhiculer ce genre de message est gravissime alors que le taux de collecte des ordinateurs est ridiculement faible en France (moins de 10% des DEEE professionnels sont collectés – source : ADEME, Dossier de presse Bilan de la filière pour la période 2006-2009 et les nouveaux défis fixés pour 2010-2014).
Comme l’indique Frédéric Lohier, le greenwashing participe directement à la désinformation des consommateurs. Il noie par sa couverture médiatique les efforts importants de sensibilisation faits en ce sens par les associations et les pouvoirs publics et discrédite la démarche de progrès déjà initiée par quelques entreprises courageuses. Ainsi, en grande partie à cause de l’omniprésence du greenwashing, les français ne sont plus convaincus par les arguments du développement durable.