La semaine dernière, un soir avait été volé au quotidien. Une rencontre avec un auteur, ce n’était pas la première fois, même si, seule celle-ci était officielle. J’étais arrivée dans ce café un peu branchouille et bruyant. Au fond, dans cet espace sombre, pas encore très calme, se trouvaient Jorn RIEL, sa femme et Béatrice deséditions Gaïa.
Pour l’occasion j’avais découvert cet auteur. Et pourtant, souvent, j’avais eu ses livres entre les mains sans tenter.
Sa version illustrée de « Le garçon qui voulait devenir un être humain » m’avait enchantée l’œil et j’attends encore le prétexte de quelques années de plus du lutin pour l’acheter. J’avais aussi beaucoup pris ses trilogies fictives incluant aussi des détails sur le peuple inuit, les reposant parce que justement trilogie et que, jusqu’à peu, un livre de plus de 300 pages me faisait fuir.
Mais quelle perte de temps, cet auteur rassemble bon nombre d’éléments qui m’interpellent, me donnent envie de lire et surtout me séduisent : une certaine ethnologie d’un peuple que j’apprécie beaucoup, de l’humour (beaucoup) et une certaine sagesse.
Mais ce rendez-vous alors ? Très bon-enfant (même un peu trop…). Mr RIEL patiemment attendait nos réactions. Il semblait impassible ou plutôt rêveur et regardait une à une les interlocutrices.
Bon nombre d’entre elles avaient lu son dernier écrit « Le naufrage de la Vesle Mari et autres racontars », moi pas. Je n’ai pu lire avant cette rencontre que « La maison de mes pères, tome 1: un récit qui donne un beau visage ». Le premier tome d’une saga sur cet enfant élevé par 5 hommes. J’en parlerais plus dans un billet précis. Elles avaient en tête ses racontars en priorité, moi sa plume d’une histoire complète, dont je n’avais lu que le premier tome.
En effet, l’auteur propose deux sortes d’écrits : ses romans au long court présentant une épopée et ses nouvelles très courtes, les racontars, sur le ton très humoristique et anecdotique.
Un écrivain (au même titre que n’importe quel artiste), qui donne de son temps et s’investit auprès de ces lecteurs/spectateurs, m’attendrit. Ce moment pris au quotidien et au rythme de la création est vraiment un honneur. Intimidée je n’ai pas osé poser toutes les questions que j’avais en tête. Le faux bond de la traductrice m’a ramené à des questions plus « rudimentaires », moins argumentées ou presque dépourvues de sens sorties de leur contexte non explicables avec si peu de mots. Merci encore aux traductrices improvisées !
Ces écrits fictifs et pourtant nimbés dans un contexte très ethniques me parlent. Je pensais, à tort, que ce monsieur était parti au Groenland pour apprendre un peu plus de ce peuple, les Inuits mais la formation, esquimaulogie, a précédée. Le départ a suivi comme une évidence, suite d’une éducation très emprunte de navigation maritime et de pilotage d’avion, pour explorer avec des compétences en navigation et en télégraphie… Pour des raisons professionnelles (entre autres) il y est resté. 16 ans de rapports scientifiques pour les expéditions internationales.
Le seul récit lu m’avait laissé une peinture de la femme très délimitée. La promiscuité est souvent décrite et le premier tome de « La maison de mes pères » présentait une femme très libérée, s’offrant aisément, très sexuée, et une autre, plus vieille, la nounou, humble et réservée aux tâches domestiques (et sauvages : elle est capable de tuer un ours en préparant la soupe). J’avais voulu connaître le vrai du faux, était-ce une représentation des traits de femmes Inuits ou juste une réinterprétation de l’auteur. La question est restée en suspend, seule cette promiscuité, l’absence d’inhibition et de pudeur et liberté sexuelle ont été confirmées et aussi la présence de peu de femmes dans ses livres. Mr RIEL indiquant même que pour avoir des racontars au féminin ou parlant de femmes, il fallait une femme écrivain.
L’auteur ne souhaite faire aucune concession à ses envies : ces moments, anecdotes de vie, moments vrais ou vrais mensonges, sont pour lui des évidences, des moments vécus réinterprétés (sûrement) qui poussent à la porte de sa plume. Jorn RIEL expliquait aussi n’avoir aucune censure. Ses lecteurs choisissent de le lire alors il ne s’arrête nulle part, même quitte à choquer.
Entre les mots, il confirme se reconnaitre plus dans le peuple inuit qu’au sein des européens et même s’il n’a plus de contact avec ce peuple et ce pays, il ne serait pas surpris de se retourner et de les voir apparaître derrière lui. De ses racontars, il se sent le plus proche de Valfred et Anton, son alter-ego. De quoi me donner envie de lire… La spiritualité des Inuits apparait encore le suivre, le fantôme ce grand tout, mais aussi cette idée de liberté (le peuple inuit n’a pas de chef, la liberté est totale avec des règles pourtant strictes : pas d’incestes, ni de meurtre au risque d’être banni !).
Jorn RIEL nous a parlé aussi de ses écrivains favoris. Des français, BALZAC et PROUST côtoient SIMENON et aussi ANDERSEN (autre que conteur), BLIXEN et CONRAD. Sa nouvelle préférée est « Au cœur des ténèbres » de CONRAD, un lent éloignement de la civilisation…
Je ne peux qu’être heureuse de sa mise à l’honneur en France, à Caen, Cherbourg, dans quelques temps à Colmar, de savoir qu’un 13ième livre de racontars sortira (le dernier : chiffre fétiche du 13) et qu’il n’a pas fini de proposer des écrits pour enfants. Nous pourrons aussi le retrouver en film chez ISUMA, allez donc regarder ici leur actualité très documentaire.
J’aurais tant aimé apprendre plus. La dédicace n’était qu’un trait, qu’une éraflure quand sa présence était si propice aux discussions. Le temps fera peut-être les choses : plus de livres lus, des questions plus fines, une traduction et l’honneur de recevoir ce don de temps. En attendant, j’écoute, lis et regarde les interviews plus poussés faits ailleurs :
Son autoportrait lu par Dominique PINON : « Jorn RIEL, par lui-même »
L’interview de Lire m’avait harponnée : de l’ethnologie mais aussi de l’humour même dans la vie, un moment très intense
L’interview d’Evene est elle, plus tournée vers ce dernier livre « Le naufrage de la Vesle Mari et autres racontars »
La lettrine, bloggeuse présente à cette rencontre, nous proposait un interview fait il y a deux ans, cela vous donnera une idée de ses réponses et de sa disponibilité.
Merci en tous cas à Mr Jorn RIEL de sa disponibilité et à Béatrice des éditions Gaïa pour cette fabuleuse rencontre. En espérant que les autres bloggeurs nous offriront leur regard sur cette rencontre...