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Philippe Vallat "Farabi et l'Ecole d'Alexandrie"

Publié le 09 décembre 2007 par Vincent

49 euros !!! Il y a pire comme prix dans le monde enchanté des livres universitaires mais si ça fait mal à la carte bleue, ça vaut le coup. Le livre (qui est à l'origine une thèse) est passionnant même si malheureusement destiné à un public restreint (les notes de bas de page sont parfois corsées et on suppose un lecteur versé en grec, en arabe et en philosophie néoplatonicienne disons tradive - connaître superficiellement Plotin ou Proclus ne suffit pas) .

C'est un ouvrage de grande envergure qui brasse depuis l'école d'Alexandrie (Simplicius bien sûr, Ammonius, pour nous limiter à deux noms, on commence depuis quelques années à pouvoir accéder à des traductions françaises de Simplicius mais certains commentaires de Platon et d'Aristote par les derniers néoplatoniciens restent au mieux traduits en anglais ou une autre langue occidentale, au pire en grec et réservé à une élite helléniste) et al Farabi qui prétendait descendre de cette tradition. Philippe Vallat prend au sérieux cette prétention (sans tomber dans la naïveté) et le résultat est franchement  intéressant par sa cohérence.

Il est de bon ton de dire que dans le domaine de la philosophie arabe il faut éviter les oeuvres de grande envergure. Il y a tellement de choses à faire: textes à éditer ou à rééditer correctement en arabe, à traduire, à commenter rigoureusement. Pour ne donner que deux exemples, aucune traduction du Livre des lettres de Farabi alors que tout le monde s'accorde à reconnaître son importance. Aucune édition de la version longue de la Théologie d'Aristote (ce texte est en fait une "paraphrase" d'une partie des Ennéadesde Plotin), aucune traduction en français moderne du célèbre apocryphe aristotélicien Le Secret des secrets, aucune traduction française du célèbre Tahafut a tahafut  (Destruction de la destruction) d'Averroes ... etc. En bref, face à l'immensité de la tâche, aux multiples zones d'ombre, on se dit que le moindre ouvrage d'envergure est prématuré. Mais avec ce raisonnement, que trouve-t-on sur le marché ? A côté de quelques bonnes synthèses, on trouve encore La transmission de la philosophie grecque au monde arabede Badawi chez Vrin (ouvrage intéressant car Badawi a édité de nombreux textes)  qui comporte des erreurs et est un peu dépassé, l'Histoire de la philosophie islamiquede Majid Fakhry aux éditions du  Cerf qui est bourré de nombreuses erreurs ... J'arrête là la liste pour conclure qu'il faut quand même de temps en temps un bon ouvrage de synthèse, sinon on ne trouve sur le marché que des ouvrages (trop) anciens et en partie inexacts. C'est ce qu'est le livre de Vallat; une thèse, c'est certain mais le premier livre français d'envergure (et le seul d'ailleurs) sur Farabi. Difficille d'accès mais indispensable.

Ce qui est intéressant dans le livre de Vallat, c'est qu'il va à l'encontre de l'idée que Farabi serait un aristotélicien de pure souche. On a longtemps considéré que Farabi était un néoplatonicien avant que Muhsin Mahdi édite son Livre des lettreset que d'autres textes (sur la rhétorique et la logique) soient établis et analysés. Du coup, on a considéré que Farabi était peut-être plutôt un aristotélicien (virage à 180 degrés !!!). Des textes comme La philosophie de Platon ou L'harmonie des deux sages, le sage Aristote et le divin Platon étaient minorés. Lameer considère ainsi que le dernier ouvrage que je viens de citer n'est pas de Farabi car cela ne coïncide pas avec son style et surtout son ancrage aristotélicien. Quant à La Philosophie de Platon, Farabi est censé nous y donner des résumés de dialogues de Platon mais il est vrai que les résumés comme les étymologies sont en partie fantaisistes. Bref, tout cela était un peu emmêlé et compliqué par le fait que Léo Strauss (qui ne connaissait pas l'arabe ni toutes les oeuvres de Farabi à son époque) avaient appliqué la distinction ésotérique/exotérique aux oeuvres de Farabi, créant toute une suite de "disciples" dans l'étude de Farabi soucieux de justifier cette distinction (P. Vallat le démontre avec pertinence, cette distinction est une fausse bonne solution pour résoudre le problème)

Ce qui est étrange en fait avec al Farabi c'est qu'il affirme un platonisme quand même- même si ce dernier n'est ni exact ni complet. Philippe Vallat résout le problème d'une façon que je trouve satisfaisante. Il considère qu'il faut prendre au sérieux Farabi quand il se dit être le successeur de l'Ecole d'Alexandrie. Cette école affirmait  l'harmonie de Platon et d'Aristote et que retrouvons-nous chez Farabi ? La même idée ! Comme Farabi connaît mal et de façon très indirecte Platon, son harmonie peut paraître bancale mais une fois faite l'analyse rigoureuse de ses thèses et une fois confrontées avec les néoplatoniciens d'Alexandrie, tout ou presque se reconstitue logiquement. J'ai travaillé pendant plus de trois ans la seule question du platonisme en terre d'islam et pour la première fois, j'ai eu la sensation d'être en accord avec ce que je lisais ! Enfin, on avance dans l'étude de Farabi, me suis-je dit en le lisant !

Peut-être que d'ici quelques années on exhumera je ne sais où d'autres manuscrits de Farabi qui nous amèneront à revoir les choses. Reste que, selon moi, ce livre de P. Vallat constitue une avancée dans le bon sens de l'étude de l'oeuvre de Farabi.


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