Une grande bouffée de chlorophylle

Une brassée de notes vertes, rafraîchissantes et toniques comme une balade à travers champs... C'est ce qu'évoquent les récentes créations des parfumeurs, à l'usage des deux sexes.
Prémices d'un retour à une grande tendance olfactive, celle des notes végétales, ou simple parenthèse nature, en réaction à des linéaires saturés de fleuris/fruités/gourmands ?
Caramel, vanille, chocolat et fruits déclinés à l'infini depuis le succès colossal d'Angel de Thierry Mugler en 1992, ont donné naissance à des centaines de senteurs régressives, qui doivent aussi beaucoup à l'utilisation d'une molécule de synthèse, l'éthyl maltol. Si l'odeur de la praline, de la barbe à papa ou du réglisse séduit instantanément, le « clonage » illimité de ces matières peut aussi finir par lasser...
Il y a un an, le lancement par Chanel de Cristalle Eau Verte, marquait la première et timide incursion d'un retour aux notes végétales. Celles-ci avaient été introduites en parfumerie par Germaine Cellier, créatrice du célèbre Vent vert de Balmain, en 1945. Ce bouquet champêtre, surdosé en galbanum, une gomme-résine dotée d'une note rappelant la cosse des petits pois crus, était sensé apporter de la fraîcheur aux citadines privées de verdure. Éternel mouvement de balancier de la mode, qui voit aujourd'hui surgir des laboratoires olfactifs des plus grandes marques des jus à facettes herbacées...
Karine Lebret-Leroux, responsable chez L'Oréal de la cellule olfactive, accueille avec enthousiasme ce « virage » vert : « La vague de gourmandise, et la régression incontournable qui va avec, est en train de passer doucement. On assiste à un désir de renouer avec des matières nobles : de belles fleurs, de la " végétalité ", pas au sens écolo du terme, mais qui permettent d'arriver à des parfums féminins et masculins bien marqués, qui procurent de l'émotion à ceux qui les portent ».
Karine Lebret-Leroux (L'Oréal)
Nuances d'herbe fraîchement coupées, voire de fines herbes, feuilles froissées, gazon tondu, rosée matinale, fruits pas encore mûrs...Toutes apportent une fraîcheur piquante aux compositions florales, une espièglerie et une typicité souvent accentuées par la couleur des jus, du vert tilleul en passant par le vert menthe à l'eau et toutes les nuances de l'émeraude !
Quand, en octobre 2009, Issey Miyaké lance A Scent (créé par Daphné Bugey de Firmenich), une brise verte, aux effluves de galbanum, se met à souffler sur le marché de la parfumerie. En quelques mois à peine, ce floral revivifiant comme l'air des montagnes japonaises dont il s'inspire, fait des émules : le premier opus de la Maison Martin Margiela, une fragrance couleur chlorophylle, crée par Daniela Andrier (Givaudan), fait vibrer le lentisque, matière de prédilection de la parfumeuse, l'encens et le vert de buis, dopés par l'inévitable galbanum ; le sillage de feuilles de menthe froissées, et zestées de citron de Calabre première récolte du tout récent Acqua Di Gioia d'Armani créé par Dominique Ropion (IFF), propulse le jasmin aquatique (ou hydroponique), pour un effet vert et cristallin, un mix « terre et mer », qui prouve que les facettes marines ne disparaîtront pas de sitôt des orgues des parfumeurs !
Enfin, la nouveauté Aqua Allegoria Flora Nymphéa de Guerlain, au départ seringua et frésia très « croquant » et fusant, résonne comme un écho subtil du Guerlain Homme, fougère rhabillée d'accords Mojito/feuilles de menthe. Curieusement, la tendance semble avoir démarré plus tôt du côté des masculins, avec notamment le très racé Roadster de Mathilde Laurent pour Cartier, jolie combinaison de feuilles de menthe crépue et poivrée, sur lesquelles on aurait fait infuser un thé venu d'ailleurs.
Envolée éphémère ou pas, cette moisson très nature offre aux consommateurs autant qu'aux compositeurs de fragrances l'occasion d'une alternative au gavage de sucreries. Le règne du végétal dans les flacons s'annonce aussi prometteur qu'une grande bouffée d'air pur de nos campagnes.
Illustration en vignette : Galbanum (Ferula galbaniflua)