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la mémoire des tragédies permet-elle d’en éviter le retour ? (sujet)

Publié le 10 juin 2010 par Egea

L'écrit du concours du CID approche. Les candidats procèdent aux dernières révisions. Plutôt que de l'accumulation de connaissances, il faut maintenant s'entraîner à une certaine dextérité intellectuelle. Pour cela, des plans flash.

Comme celui proposé par un des mes fillots, à qui j'explique qu'il faut se libérer du dogme du trois parties. Voici donc un de ses essais, et la conversation qui s'est ensuivie.

Nous l'appellerons Martin.

O. Kempf

Martin

Parcourant votre BLOG, je me suis attaqué au sujet suivant : « la mémoire des tragédies permet-elle d’en éviter le retour ? »

La polémique née pendant le festival de Cannes à l’occasion de la présentation d’un film, ayant comme point de départ les évènements du 8 mai 1945 à Sétif, tend à prouver la prégnance de la guerre des mémoires. Loin d’apaiser, celles-ci alimente les antagonismes en confortant une vision Hégélienne de l’histoire comme tragique et en discréditant la réflexion de W.CHURCHILL pour qui « une nation oubliant son passé est condamné à le revivre».

La mémoire se distingue à la fois du souvenir et de l’histoire. Contrairement au premier, elle dépasse la simple remémoration du passé. Contrairement à la seconde, elle ne renvoie pas à une description objective et scientifique du passé mais lui préfère une célébration subjective de l’événement. Ainsi apparait la puissance de la mémoire comme instrument fédérateur ou ostracisant. Si le souvenir d’une erreur passée permet raisonnablement d’éviter sa répétition par le jeu de l’expérience, la mémoire, quant à elle constitue-t-elle un rempart efficace face aux tragédies du passé ?

La mémoire, célébration subjective du passé au service d’une identité, permet d’éviter le retour des tragédies à condition qu’elle soit au service d’un authentique projet collectif.

En effet, la mémoire instrumentalisée, loin d’apaiser les antagonismes, aboutit au contraire à les renforcer. Au contraire, une mémoire consensuelle érigée en fondement d’un projet collectif fédérateur permet d’éviter le retour des tragédies.

Un plan en 2 parties me parait répondre à la question :

1. Mémoire alimente le retour des tragédies - mémoire et identité : la mémoire permet de se définir par rapport et contre l’autre : M.BARRES dans « la terre et les mémoires », pour fonder une conscience nationale, il faut un cimetière et un enseignement d’histoire.

- Mémoire et communautarisme : la concurrence des mémoires s’oppose au projet fédérateur républicain en soulignant les différences des communautés : lois mémorielles

- Mémoire contre réconciliation : elle permet de justifier un esprit de revanche en donnant une épaisseur historique à l’opposition entre groupes humains :Bataille des merles au Kosovo ou encore colonialisme ( « la haine de l’occident » est pour J.ZIEGLER alimentée par la mémoire du colonialisme et est instrumentalisé à des fins de politique intérieure.

Loin d’apaiser, la mémoire facilite le retour des tragédies. Au service d’un projet fédérateur, elle permet d’empêcher leur retour.

2. Mémoire au service d’un projet collectif

- au niveau national : la mémoire permet l’avènement d’un sentiment national en luttant contre les oppositions et en favorisant le consensus : Dans « Qu’est ce que la nation », E. RENAN ne souligne que la nation, volonté de partager un projet commun, repose sur un héritage reçu en indivis, c'est-à-dire sur une part d’oubli. La mémoire ne prétend pas à l’authenticité historique mais au service d’un sentiment national, elle repose sur l’oubli volontaire, et la reconnaissance d’erreur du passé

- Au niveau Européen : le projet européen trouve son fondement sur une volonté de réconciliation après la 2nde guerre mondiale : discours fondateur de R. Schuman en 1950 « l’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre ».

- Au niveau mondial : dans son « projet de paix perpétuel », E.KANT évoque « la paix des cimetières », c'est-à-dire l’évolution vers une paix démocratique grâce au spectacle des tragédies passées.

Ainsi, la mémoire instrumentalisée, loin d’apaiser les antagonismes, aboutit à leur renforcement. Au contraire Une mémoire consensuelle érigée en fondement d’un projet collectif fédérateur permet d’éviter le retour des tragédies. Le devoir de mémoire apparait salutaire s’il permet de souligner ce qui rassemble les hommes, et non ce qui les oppose. La concurrence des mémoires, procédant d’une appropriation monopolistique des souffrances de quelques uns apparait au contraire propice au retour des vieux démons. Plus qu’un devoir, un travail de chaque instant, une démarche mémorielle apparait toujours indispensable. Le projet de loi visant à octroyer la nationalité hongroise aux citoyens tchèques historiquement natif du grand empire prouve la résurgence des nationalismes au cœur même de l’Europe. L’introduction de l’historien, souvent appelé à la rescousse aujourd’hui dans cette mémoire ne constitue pas une garantie de réussite. Dans ce cadre, la volonté du président français de donner la parole aux historiens pour départager les responsabilités de chacun dans le drame de Sétif, révélatrice d’une tendance lourde à tout confier à l’expert, semble peu pertinente en l’absence d’une volonté authentique de réconciliation.

Martin




Moi

Votre intro est de très bon niveau.

J’aurais évité l’expression « guerre des mémoires » qui fleure le "journalisme ».

Dans votre annonce de plan, une prudence dans le I permet deux choses : d’une part de la prudence qui sied au débat intellectuel, d’autre part de mieux dynamiser l’ensemble ; le présent, en effet (aboutit) est trop affirmatif et on se posera toujours la question : (mais si ça aboutit (compris : systématiquement) alors il se contredit dans la deuxième partie).

En écrivant … peut aboutir… on comprend qu’il s’agit d’une tendance, pas irrémédiable, et qui laisse donc un espace à l’action et à la volonté, objet de votre deuxième partie.

I

Barrès : ne confondez vous pas : ne s’agit-il pas de « la Terre et les morts », grande œuvre qui a fait connaitre Barrès ?

Ensuite, attention à bine articuler vos sous-parties avec le corps général de votre démonstration. A bien y regarder, on comprend que la mémoire est utile pour fonder la cohésion, même si son abus mène à des excès identitaires -> Kosovo : au fond, c’est le mot « mémoire instrumentalisée » qui me gêne dans votre titre.

Dites par exemple que I la mémoire sert à fonder des collectivités, au risque d’abus pouvant mener au drame. Bref, la mémoire n’est pas forcément néfaste.

Vous auriez alors qq chose comme

  • IA Barrès et Renan, l’instrumentalisation classique de l’Etat-nation
  • I B instrumentalisation « bonne » mais discutable et discutée : lois mémorielles
  • I C Instrumentalisation clairement néfaste : Kosovo

II

On comprend que vous faites varier l’échelle de la mémoire. LA question n’est pas celle du projet collectif (qui aurait justifié Barrès dans le II) mais de la communauté de référence. Dites le donc plus simplement, qq chose comme : II Pour éviter aujourd’hui le retour des tragédies, la question est celle de l’espace de référence de la mémoire

Du coup,

  • - je transforme votre IIA non plus en Renan, mais en qq chose de plus analytique : le lieu de la mémoire est-il forcément la nation ?
  • - D’où II B ce peut être l’Europe ou le monde
  • - et donc II C Une réponse exclusive (soit nation, soit Europe soit monde) ne peut réussir et il faut la conjugaison des trois.

Votre II est donc à la fois analytique (je démontre et comprend) et opératoire (je réponds à la question du comment faire qui est implicitement posée par le sujet).

Sur la conclusion, qq reprises en fonction du plan adapté. Vous évoquez à juste titre le cas hongrois, vous auriez pu citer le cas flamand et terminer sur une nvelle interrogation : longtemps, l’Europe était synonyme de paix : va-t-elle éviter que ces conflits latents ne dégénèrent ? (question à laquelle je n’ai pas de réponse, d’ailleurs : mais elle se pose très crûment)

Au final, très bonne approche avec une bonne maîtrise des techniques (intro conclu). ET vous voyez que le deux parties est pas mal, hein ?

Encouragements.




Martin

Il s’agit bien en effet de « la terre et les morts » et non « la terre et les mémoires », je devais être un peu fatigué (cette référence est reprise dans le livre de Marcel DETIENNE que vous m’avez conseillé…intéressant mais l’approche anthropologique de l’identité est un peu indigeste pour mon petit esprit…).

- J’ai un peu hésité sur le choix de l’accroche, en me demandant si l’actualité récente, encore brulante était indiquée…

- Le mot instrumentalisation est en effet ambigu car connotation négative alors qu’une mémoire, par nature au service d’une identité ou d’une idéologie, est objectivement un instrument et non une fin en soi.

- Votre approche plus analytique dans la 2ème partie. Mon propos est effectivement descriptif en variant sur le cadre de la mémoire (nation, Europe, monde) car je cherche à souligner la même dynamique jouant à chaque niveau, c'est-à-dire le dépassement des divisions au service d’un projet commun. La mémoire est volontairement discriminante et parfois amnésique. Est il alors possible de démontrer le « comment faire » dans la conclusion (et non dans la 3ème partie comme vous le proposez ?).



Moi

Bouquin de Detienne : je suis aussi en train de le lire, et je suis également partagé : qq très bon moments, d’autres très précieux et satisfaits…

Accroche : non, vous exposez les faits simplement, ça a occasionné un débat : vous n’y entrez pas, vous notez simplement que le débat tourne autour de la mémoire et de la tragédie : on est en plein dans le sujet.

Instrumentalisation : le mot est à la mode, victime d’une sociologie de bazar. Se méfier des mots à la mode, car ils ont plein d’affect. Ici : il ne s’agit pas seulement d’utilisation, mais d’une utilisation à des fins pas forcément bienveillantes. Il y a un aspect néfaste et cynique dans l’instrumentalisation qui n’apparaît pas dans l’utilisation. Partir d’utilisation est plus neutre, et permet de faire une troisième sous-partie instrumentalisation.

Pour le comment faire, oui, surtout si on craint d’être verbeux dans une troisième partie creuse. Mais si on le passe en conclusion, il faut être très intense et signifiant : c’est la deuxième partie de la conclu, celle qui sert d’ouverture. Donc à rédiger avant d’entamer la rédaction proprement dite, car ne s’improvise pas.




Encouragements,

O. Kempf


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