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Comment vont les thons rouges ?

Publié le 11 juin 2010 par Jpa

Comment va le thon rouge ?

Militants écologistes et pêcheurs de thon rouge en sont venus aux mains – ou plutôt aux gaffes, aux fusées de signalisation et aux harpons – vendredi 4 juin au beau milieu de la Méditerranée. Les militants de Greenpeace tentaient de libérer les thons rouges prisonniers des sennes des pêcheurs venus du sud de la France. Bilan : un militant sérieusement blessé au mollet et deux zodiacs de l’organisation coulés. Quelques heures après l’incident, le ministère de la pêche et de l’agriculture français réagissait, appelant les organisations écologistes à “laisser la pêche au thon se dérouler dans un cadre légal”.

Mais c’est justement autour de ce “cadre légal” que l’on se bat dans les ports, dans les mers et dans les conférences internationales depuis une quinzaine d’années. En 2010, la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (plus connue sous l’acronyme anglais ICCAT) a réduit de près de 40 % les quotas de pêche, sur une période réduite de moitié. Pour 2010, ce seront donc 13 500 tonnes de thon rouge – Thunnus thynnus – qui auront pu être prélevées des réserves halieutiques. Officiellement tout du moins. Pour les bateaux battant pavillon d’un Etat de l’Union européenne, ce quota a été atteint mecredi 9 juin, poussant l’UE à fermer prématurément la pêche pour la saison.

Le thon rouge est pêché depuis des millénaires, mais ce n’est que dans les années 1980 que la pêche de ce poisson est devenue problématique. “Le phénomène majeur des dernières décennies est l’essor du marché du sushi-sashimi, marché sur lequel le thon rouge est une espèce phare et donc à haute valeur marchande”, note l’Ifremer dans un rapport consacré au sujet. Le thon importé de Mediterranée est devenu rentable puisque, sur le marché de Tokyo, son prix varie entre 40 et 100 dollars le kilo. Voire plus pour certains spécimens.

Cette forte demande a logiquement fait exploser la pêche au thon rouge et les moyens qui y étaient consacrés. Toujours selon l’Ifremer, la pêche au thon rouge a atteint son maximum en 1996 avec 53 000 tonnes de poissons pêchées. Officiellement bien sûr, puisqu’à l’époque, les moyens de contrôle étaient presque inexistants. C’est à ce moment que les associations écologistes ont exhorté les instances internationales à agir pour sauvegarder l’espèce. Les scientifiques réunis en 2006 et 2008 lors des congrès de l’ICCAT à Dubrovnik, puis à Marrakech, ont averti d’un “risque de l’effondrement du stock”, pas d’une disparition de l’espèce

De l’aveu d’un scientifique très au fait du sujet, entre le moment où a été tirée la sonnette d’alarme, en 1996, et la conférence de Dubrovnik en 2006, “c’était le far-west”. Traduction : les scientifiques donnaient des avis que l’on faisait mine de respecter, sans se donner les moyens de les faire appliquer. Mais la donne a changé il y a quelques années, le lobbying des écologistes ayant réussi à rallier les institutions internationales et certains Etats. Ce même chercheur se réjouit du fait que, “pour la première fois, l’avis politique ait suivi l’avis scientifique”. Et il constate que les “ONG ont eu raison d’alerter sur le sujet”, puisque les moyens ont finalement été octroyés pour sauvegarder l’espèce.

Des mesures drastiques. En 2010, l’ICCAT a autorisé la pêche de 13 500 tonnes de ce thonidé fort prisé. Un quota en accord avec les préconisations des scientifiques. Selon les différentes hypothèses de travail, ils estimaient qu’une prise soutenable se situait entre 8 000 et 15 000 tonnes par an. Par ailleurs, lors de la conférence de Dubrovnik, a été entérinée l’interdiction de pêcher des poissons de moins de 30 kilogrammes, “taille à maturité”, précise l’Ifremer. Toutes ces mesures sont-elles suffisantes pour éviter un effondrement des stocks de thon ? C’est là que les avis divergent.

Pour Greenpeace par exemple, la seule solution, c’est une interdiction totale du commerce du thon rouge. L’association est passé à deux doigts d’avoir gain de cause au début de l’année 2010.  En mars, se tenait à Doha la conférence de la Convention internationale sur le commerce des espèces sauvages menacées (CITES). Monaco avait proposé d’inscrire le thunnus thynnus dans l’annexe I de la Convention, prohibant ainsi son commerce. Mais le lobbying du Japon a été suffisant et la majorité des deux tiers n’a pas été atteinte. Les thons rouges n’ont pas été inscrits dans cette fameuse annexe I.

Une espèce sauvée ou toujours menacée ?  Les mesures prises ces dernières années n’ont pour l’heure pas encore été évaluées. L’évaluation des bénéfices des restrictions de la pêche au thon rouge commencera à la fin de l’année. Certains scientifiques sont optimistes. “On ne peut pas se prononcer d’un point de vue affectif comme les ONG”, m’a dit un chercheur, mais “les observations semblent montrer que les mesures ont été efficaces. Les premiers signes sont encourageants”. Si les chercheurs restent – très – prudents sur cette éventuelle embellie, certains pêcheurs en font déjà un argument de poids face aux instances internationales. Ainsi, dans un article du Figaro consacré au sujet, le plus connu des pêcheurs de thon de Marseille Mourad Kahoul expliquait : “L’Europe dit ce qu’elle veut, mais les chercheurs qui travaillent sur le terrain ont, je pense, plus de cervelle que ceux qui travaillent à Bruxelles”, précisant qu’il voulait “montrer à l’opinion publique la vérité sur ce que subit” la pêche européenne.

En attendant un très hypothétique consensus, les affrontements entre pêcheurs et écologistes risquent de durer encore un moment.


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