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Apprendre à voler. De tous les livres de Laura Kasischke, La...

Publié le 12 juin 2010 par Mmepastel
Apprendre à voler.
De tous les livres de Laura Kasischke, La...

Apprendre à voler.

De tous les livres de Laura Kasischke, La Couronne Verte est peut-être le plus beau, celui qui réussit le parfait équilibre, sur le fil, dans les airs, haut, très haut, entre un réalisme moderne et un onirisme aux contours fantastiques. Il ressemble à Rêves de Garçons et à La Vie devant les yeux quant à l’intrigue : deux jeunes filles américaines sortent de l’adolescence, mais au lieu de prendre leur envol, elles sont brutalement happées par un monde violent, aspirées dans un trou d’air dont elles ne reviendront pas indemnes.

C’est un roman très aérien, de par la thématique de l’avion (qui les emmène dans le Yucatan fêter leur fin de scolarité), de l’oiseau Quetzal qui est l’emblème du site magique qui sera une révélation pour Michelle, une des deux jeunes filles, mais aussi grâce à l’écriture, poétique, rythmée par de courts chapitres épousant les points de vue des deux protagonistes par petites touches subtiles, sans pour autant leur donner la parole.

Il est donc question de grandir, de voler de ses propres ailes. Mais Michelle souffre de ne pas avoir de père. Pour elle, cela semble s’assimiler à ne pas avoir de passé, puisque celui qui va l’initier aux beautés fascinantes et inquiétantes des rites mayas (le passé d’une Amérique dont la partie nordique semble terriblement plate et sans profondeur bien que faussement rassurante pour Anne) va se confondre spontanément avec la figure paternelle. 

Mais ce livre est très profond, comme les nuances de verts et de bleus dont nous abreuve l’écrivaine. Il parle aussi de ce qu’est qu’être une jeune fille, une femme ; même au XXIe siècle cela implique encore des inégalités : “Mais quelles aventures une fille pouvait-elle vivre ? Dans l’entourage de Michelle, il n’y avait pas plus excitant que de partir pour les Bermudes ou à Cancun pour les vacances de printemps. Ou flirter avec le copain d’une amie, voire tomber amoureuse de lui. S’évanouir pendant une fête. Aller nager toute nue dans un des lacs de la région. En revanche, il n’était pas concevable d’aller marcher en forêt seule, de traverser l’océan à la voile, ou de planter une tente dans son propre jardin à la nuit tombée. Les aventures des filles avaient lieu dans les centres commerciaux. On donnait son numéro à un garçon d’une autre école. On volait un rouge à lèvres au Body Shop.”

Dans l’ascension du temple, Michelle rêve : “Une aventure dans le ciel. Une opportunité de tout envisager sous un angle nouveau. De tout aspirer en elle. De chanter. Elle avait adoré le début de l’Odyssée qu’il avait fallu lire pour le cours de M. Frieder. Toutes ces histoires, ces récits épiques, le retour long et difficile depuis Troie. Puis, arrivée à la moitié, elle avait réalisé que si elle avait été grecque à cette époque, l’odyssée n’en aurait pas été une. Son personnage serait resté à Ithaque à faire et à défaire la même tapisserie pendant dix longues années. L’ennui l’aurait minée. Elle aurait purement et simplement passer sa vie à tuer le temps.” Et cela ne l’aidait pas à se dire que des milliers d’années s’étaient écoulées depuis. Que les choses avaient changé. Qu’à présent les femmes pouvaient s’engager dans l’armée. Devenir astronautes. Parce qu’aucune femme dans l’entourage de Michelle Tompkins n’avaient embrassé ce genre de carrière. En gros, les femmes qu’elle connaissait passaient leurs journées à la maison ou dans un bureau -à tisser ou à détisser, tisser détisser- tandis que les hommes s’engageaient dans l’armée ou devenaient astronautes.”

C’est cette terrible découverte que font les deux jeunes filles : l’aventure n’est pas vraiment permise aux femmes. La violence l’emporte toujours sur elles. De tous temps. Alors même que Michelle découvre avec ravissement l’appartenance et la beauté du passé, on la dépouille de ce qu’elle a de plus intime, comme le coeurs des jeunes vierges mayas offert au Dieu affamé. Au passage, seule une plume s’échappe du carnage.

Apprendre à voler.
De tous les livres de Laura Kasischke, La...

Photographie d’un bijou de Bethany Lorelle.


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