À l’institut Guessous, j’appris le français par le commencement : l’alphabet. Il était sous-développé. Comparé à notre alphabet à nous, il lui manquait plusieurs lettres, les sons “gh”, “ts”, “th”, “dz”, “a’”, et j’en passe. Notre professeur était très patient avec moi et répétait en souriant : “Ce n’est pas une traduction de l’arabe. C’est une autre langue.” Lorsqu’il me fallut allier les consonnes et les voyelles pour former des mots, ce fut l’incompréhension totale. Habitué à écrire de droite à gauche, j’écrivis de droite à gauche, en toute logique. Quelque chose comme : ssirD tse mon noM. Le professeur se montra habile devant ce cas de figure. Il se saisit d’un miroir et rétablit la phrase dans le bon sens. Mon nom est Driss. C’était simple. Le monde des Européens, à commencer par leur langage, était l’inverse du nôtre. La preuve, c’est que le planisphère accroché près du tableau représentait le globe terrestre à l’envers de la carte géographique d’Al-Idrissi : l’Europe en haut et l’Afrique en bas alors que ce devrait être le contraire, l’Orient à droite et l’océan Atlantique à gauche ! C’était insensé, mais c’était ainsi. Je devins gaucher du jour au lendemain. Et je crois bien que c’est à cette époque que ma tête a commencé à tourner.
Driss Chraïbi