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La vie, c’est beau comme une promo impromptue

Publié le 12 juin 2010 par Desfraises

La vie, c’est beau comme une promo impromptuePhoto de Böhringer Friedrich (sous licence Creative Commons)
Au fin fond de la campagne, tandis que les clients fortunés dorment du sommeil du juste, je traîne mes guêtres au château. Un boulot pas très passionnant mais une source d'inspiration, un cadre sublime, un modeste salaire tous les premiers du mois. Deux heures du mat, bercé par le chant nocturne de la nature qui entre par la fenêtre, je mets de côté les 179 copies quotidiennes, la clôture informatique et comptable, les innombrables tickets à vérifier et revérifier, pour grimper dans la golfette (photo) et gagner l'autre bout du domaine. Une requête farfelue. Quand on travaille dans un quatre étoiles, on ne juge pas, on sert le client, le lord ou le vicomte qui a expressément besoin d'ouvrir son coffre-fort au beau milieu de la nuit mais ne le peut pas parce que la pile de l'engin a rendu l'âme. Que ce soit pour actionner une poignée récalcitrante ou pour remettre un fax, je ne me lasse jamais de conduire cette golfette, de respirer l'air de la nuit, de me sentir vivant et heureux lorsque je croise un lapin, une grenouille, une hirondelle.
J'avais sûrement l'air nigaud lorsqu'âgé de 10 ans, je répétais inlassablement à mes camarades de classe « quand je serai grand, j'habiterai un château. » J'en étais persuadé. Je m'en persuadais. Eh bien, 27 ans plus tard, fermant les accès du château à l'aide de l'épais trousseau de clés, je me dis que j'ai réalisé sans le savoir un rêve de gamin. Pas tout à fait comme je l'avais rêvé, mais avec les rêves, on ne fait pas la fine bouche.
Au petit matin, le vicomte anglais de la chambre 124 sort de son portefeuille un billet de 500 euros. Il souhaite de la monnaie. L'espace d'un court instant, je suis comme une poule devant un timbre poste. Mille pensées se bousculent dans ma tête de citoyen de basse extraction : 500 que multiplie 6,55957 = ? ; est-ce un faux ? où est le détecteur ? vais-je avoir assez de billets pour lui ? putain ! 500 euros ... et quand il en laisse 20 de pourboires à partager entre la réception, je le trouve tout de suite moins emmerdant, le gentleman.
[Avertissement : ceux qui font une allergie aux clichés, sautez ce paragraphe :
Depuis que j'évolue dans ce cadre "idyllique" où l'on arrive parfois en hélicoptère pour l'apéro, où ma vieille 205 rouge toute rouillée côtoie Porsche et Aston Martin, je pense souvent à ce film de Robert Altman, Gosford Park, réjouissants portraits croisés d'aristocrates et de domestiques. Désolé pour le cliché [dont je constate tous les jours la vérité, mais à nuancer, évidemment] : les riches jouent au golf, au bridge, organisent des rallyes. Vous avez déjà vu, vous, des rallyes permettant à la jeunesse RMIste d'éviter de se mêler aux franges privilégiées de la population ? Selon l'envie, lisez Le quai de Ouistreham de Florence Aubenas ou les pages Immobilier du Figaro, vous noterez la différence. ]
Au pressing le moins cher de la ville, je laisse mes 3 pantalons, ma veste de costume et ma cravate aux armes du château. Sans le savoir, je bénéficie d'une promo, le 3ème pantalon à 1 euro (au lieu de 4,60). Pas fait exprès d’apporter 3 pantalons. La vie, c’est beau comme une promo impromptue au pressing.
Pas plus tard qu'hier, une dame habituée au luxe vient chercher conseil auprès des pauvres qui la servent. Dans une enveloppe prête à être oblitérée, elle a inséré un relevé d'identité bancaire, son ticket de caisse de chez Leclerc et le joli autocollant fluo donnant droit à 2 euros de remboursement. « Non, madame, ça n'est pas la peine de signer le RIB. » Elle regagne sa chambre à 330 euros la nuit, heureuse. Son compte sera bientôt crédité de ces 2 euros providentiels...

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