L'agnelle émissaire

Mardi 8 juin, j’avais pu entendre une radio faire état de la révélation qui serait faite le lendemain par Le Canard enchaîné de la mission confiée à Christine Boutin. J’avais été plutôt étonné de l’écho ainsi donné à cette information, la plupart des médias recouvrant généralement ce type de nouvelle du manteau de Noé. Un contre-exemple nous est fourni, dans la même édition du Canard, avec le cas de Pierre Bachelot, fils de Roselyne, diplômé de l’Institut d’études supérieures des arts, longtemps assistant parlementaire de sa maman, ensuite conseiller dans le cabinet de la même, qui vient d’obtenir un emploi à l’Institut national de prévention et d’éducation de la Santé. Sa mission y sera « de plaidoyer pour la santé dans toutes les politiques publiques ». Noble entreprise ! A part un entrefilet dans Le Monde, je n’ai guère entendu parler de l’embauche de ce plus tout jeune si méritant.

Mon espoir d’assister au retour des médias à leur vocation première, informer, quittant celle d’amuseurs, a ainsi été déçu. Les journaux télévisés suivants m’ont conforté dans ce sentiment, m’infligeant de longues séquences consacrées au Mondial, événement d’importance mais peut-être pas aussi gigantesque que laisse supposer l’espace qui lui est accordé, séquences suivies du énième déplacement en Province de notre souverain, du compte-rendu de tel crime crapuleux, d’un sujet sur l’insécurité ravageant nos établissements scolaires, de la promotion de tel film bientôt à l’affiche et d’un reportage à la Jean-Pierre Pernaut, genre floraison du mimosa dans les Alpes maritimes.

J’ai alors pensé que notre Président avait peut-être songé à laisser un peu filer les rênes grâce auxquelles il oriente les médias, jugeant que, à la veille ( !) de la prochaine élection présidentielle, il pouvait être contre-productif de peser aussi lourdement sur l’information et que donner aux journaux une apparence légèrement plus impartiale était susceptible de doper sa popularité. Ce qui pouvait soutenir une telle hypothèse est le fait que la nouvelle de la condamnation pour injure raciale de notre Ministre de l’Intérieur qui, en temps ordinaire, serait restée enfouie au bas des pages intérieures de nos journaux, ait pu bénéficier d’une certaine lumière. Las, notre Président est intervenu auprès du directeur du Monde, menaçant de supprimer l’aide de l’Etat prévue pour la modernisation de l’imprimerie du Monde (j’ignorais que Nicolas Sarkozy fut l’Etat), afin d'éviter que ce quotidien ne tombe aux mains de suppôts de la Gauche. Cette intervention démontre l’inanité de ma deuxième hypothèse.

J’en viens à envisager une autre possibilité, celle du bouc, pardon, de l’agnelle émissaire. En ces temps de rigueur, où les écarts entre rémunérations deviennent scandaleux, il pouvait être avantageux d’endosser l’habit du chevalier blanc, de fustiger certaines dérives et de sacrifier une personne déjà en disgrâce pour mieux préserver d’autres privilégiés comme, toute proportion gardée, un fifils à sa maman. Au passage, on rétablissait un certain équilibre : après avoir condamné l’intégrisme musulman, on égratignait ainsi le traditionalisme catholique. Si c’était là l’opération préméditée, force est de reconnaître qu’elle a été bien mal conduite. Alors que, trop souvent, les ministres sont bien chapitrés et se répandent en éléments de langage si stéréotypés que l’unicité de leur origine est évidente, il n’en a rien été ici. Luc Chatel et Christine Boutin ont commencé par déclarer le niveau de cette rémunération comme légal et totalement justifié, avant qu’Eric Woerth ne vienne siffler la fin de la partie et n’incite peut-être la missionnaire à renoncer à ses émoluments.

Tout ce passe comme s’il n’y avait eu là rien d’organisé. Vraisemblablement, une information n’a pas été maîtrisée et, après quelques instants de flottement, on a tenté de l’utiliser au mieux en mettant en place un contre-feu.