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Quand Fillon rabote en touche

Publié le 15 juin 2010 par Guy Deridet
Excellente chronique de Anne Sophie Jacques dans Arrêtsurimages.net, dont je ne saurais trop vous recommander l'abonnement. 3 euros par mois, ce n'est pas cher payé une information "décryptée" dont voici un superbe échantillon. Quand Fillon rabote en touche

Il y a des mots soufflés – que dis-je – exigés par un père excité qui sans même dire bonjour se jette sur son aînée préférée en hurlant : «eh, fifi, j’ai le prochain mot de ta chronique : raboter !»

Oui.

Mon père m’appelle fifi.

Et le premier qui ricane se prend un coup de rabot sur la tête.

Rabot, dites-vous père ? Ah. Je fis fi et répondis d'une moue dont j’ai le secret, à savoir un microscopique haussement de sourcil appuyé d'une légère grimace qui signifie tout à la fois tu es gentil papa mais ça va j'ai plus dix ans et puis qu’est-ce que c’est que ce retraité-de-60-ans-à-taux-plein qui vient me souffler des idées de chronique heureusement que tu es mon père et que j’ai du respect alors d’accord je vais voir ce que je peux faire mais je ne garantis rien. Des heures d’entraînement pour accomplir cette lippe inimitable.

Or donc, écris-je dans le but de faire une transition entre le paragraphe qui précède et celui qui suit, or donc donc, raboter. L'acte qui consiste à aplanir un morceau de bois ou de métal avec un rabot. Ok. Un surf sur l’actualité et je dois rendre justice à mon père : le mot se taille un beau succès. Mieux : lâché par Fillon qui déclare vouloir raboter les niches, il est adopté immédiatement par les médias, en un temps record à la limite de l’indécence. Tout le monde se met à user du rabot :

Pire. Les niches fiscales ne sont plus les seules concernées : mercredi le gouvernement annonçait, selon les mots de l’AFP, « un sérieux coup de rabot sur les allègements de cotisations patronales », autrement dit les réductions Fillon sur les charges des bas salaires.

Si on ajoute à cela le rabotage de Porte cette semaine, on peut légitimement se poser la question : jusqu’où iront-ils ? Et pourquoi, d’ailleurs, le rabotage? En période de rigueur, on s’attend plutôt à des coupes claires dans les budgets, à la hache ou à la tronçonneuse si vraiment on veut puiser dans le champ sémantique du bois, mais on ne s'attend pas à un simple rabotage. Alors ?

LE COUP DU LAPIN


Utilisé dès le 14e siècle, le mot rabot désigne l’outil de menuisier qui sert à enlever les inégalités d'une surface de bois. Il n’a guère connu de déviation sémantique, mise à part, en littérature, le sens de supprimer ce qui, dans le style, est inégal ou rude. Le coup de rabot lui, au figuré, signifie l’action de supprimer ce qui est excessif.

Dites, ami bricoleur et amateur de devinette, connaissez-vous l’origine du mot? Allez, lancez-vous. Faites pas le timide. Du latin ? Non, perdu. Du germano-prussien ? Non plus. Oh le nul. Vous donnez votre langue au chat ? Mieux vaut alors la donner au lapin. Rabot est en effet un dérivé de rabotte issu du moyen néerlandais robbe, signifiant lapin. Comme de nombreux outils – je vous l’avais déjà dit dans la chronique sur les chantiers – le lapin (rabotte, et mêmerabbit en anglais) a inspiré le nom de l’outil par métaphore : la lame qui dépasse du rabot ressemble à s’y méprendre à une oreille de lapin. Adopté.

Emile Littré, au 19e, donne cependant une autre étymologie : pour lui, le verbe raboter vient de l'ancien français rabouter, qui signifie heurter et il ajoute : « cette étymologie, indiquée par Diez, paraît certaine. Rabouter est fait de re, à, et bouter », bouter signifiant mettre dehors comme le fit si bien Jeanne d’Arc quand elle bouta les Anglais hors de France. Mais cette hypothèse est écartée par le maître Alain Rey dans son dictionnaire historique et par l'ensemble des étymologistes aujourd'hui.

LE LAPIN DANS LE CHAPEAU DE FILLON


Et pourquoi le rabot a tant plu à notre premier ministre? D’abord, il devait trouver fissa un mot tout neuf parce qu’après avoir annoncé que les niches fiscales allaient être supprimées, pulvérisées, envoyé-dans-l’espacisées, forcément le gouvernement avait atteint les limites du dictionnaire. Mais coup de chance pour Fillon, un livre de bricolage traînait opportunément sur une étagère de sa gentilhommière sarthoise, probablement un vieux cadeau de la fête des pères même pas déballé, et qui fit la joie du premier ministre en mal de mots : alléluia, raboter les niches, ça envoie du pâté – ou de la rillette devrai-je dire pour ne pas froisser les Manceaux. Une niche est faite de bois, donc raboter une niche c’est cohérent. Un coup de rabot par ci, un coup de rabot par là, il est beau mon rabot et hop 10% de niches en moins avec en prime de jolis copeaux qui peuvent resservir aux enfants créatifs en mal d’idées pour, au hasard, la prochaine fête des pères.

A le regarder de près, le coup du rabot est la quintessence même de la politique sarkozyste en temps de crise : faire sans vraiment faire, ménager le chou des agences de notation et la chèvre des Français, faire la rigueur sans prononcer le mot, ne pas augmenter les impôts tout en les augmentant. Bien joué. Car à l’évidence, raboter les niches fiscales signifie – sans le dire – augmenter les impôts. Qui joue du rabot ne joue pas de la hache, ni de la tronçonneuse. Et puis qu'est-ce qu'un copeau ? Beaucoup et peu. Tangible et négligeable. Mais promis on ne coupe rien. On rabote.

LE BRICOLEUR DU DIMANCHE


Fillon tient son image avec le rabot. La politique c'est aussi une bataille sémantique, une guerre de la métaphore. Mais, en l'occurence, est-ce vraiment une si bonne idée ? Quand l'Outre-manche s'attend à une bombe, ici nous sortons benoîtement, en sifflotant, la boîte à outils. Préparons-nous prochainement au ponçage des retraites, à l’affûtage des jours fériés, au sciage des allocations parentales, au ripolinage des bonus des traders. J’arrête de meubler car nul besoin d’enfoncer le clou : raboter est une image à l’évidence casse-gueule. Puiser dans le vocabulaire du bricoleur pour expliquer sa politique, se présenter comme le ministre qui bricole une mesure fiscale, non, franchement, je ne trouve pas ça sérieux.

Je ne suis pas la seule... Philippe Lefébure, dans son "éco du jour" jeudi sur France Inter, rapportait les propos d’un député UMP très fâché qui demandait : «vous avez entendu parler, vous, d'un plan d'économies digne de ce nom ? On entend parler d'un "rabot", d'une "chasse aux niches", de dépenses "zéro volume" ou "zéro valeur" mais y'a-t-il eu une seule mesure concrète annoncée pour contenir la dérive des dépenses en France ? C'est de l'amateurisme.» Foi de fifi, en voilà un au moins qui n'a pas peur du rabotage de langue de bois.



Un bel exemple d'information décryptée. En effet, autant la politique de Sarkozy rappelle fâcheusement le néant, autant chaque mot, chaque fait apparemment indignifiant (c'est voulu) en Sarkozye a son importance. C'est cela le décryptage. Le poids des mots, la trahison des photos.

Bien sûr, certains préféreront le décryptage façon Frédéric Lefebvre.Ou encore, mais là c'est de la perversion, le décryptage façon Alliot-Marie. Par charité chrétienne je n'évoquerais pas ici le décryptage façon Dame Boutin, la dépouillée du PPF (Paysage Politique Français)

C'est leur droit.

Après tout, on n'est pas obligé de se servir de ses neurones.
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