Longtemps j’ai couché sur le papier de bonne heure, aurait pu dire Flaubert. Ecrire a été sa vie, la hantise de ses jours, le rêve de ses nuits. Tout jeune, déjà…
« Vous ne savez peut-être pas quel plaisir c’est : composer ! Ecrire, oh ! écrire, c’est s’emparer du monde, de ses préjugés, de ses vertus et le résumer dans un livre. C’est sentir sa pensée naître, grandir, vivre, se dresser debout sur son piédestal, et y rester toujours. » Gustave, 14 ans (Un parfum à sentir ou les Baladins, avril 1836, p.112)
Non, on n’écrit pas comme on cause ! C’est la paresse de la pensée qui le croit, le laxisme de ceux qui acceptent la baisse du niveau. Flaubert s’insurge, encore adolescent, contre cette facilité.
« Il y a un axiome assez bête qui dit qui dit que la parole rend la pensée. Il serait plus vrai de dire qu’elle la défigure : est-ce que vous énoncez jamais une phrase comme vous la pensez ? écrivez-vous un roman comme vous l’avez conçu ? Si les phrases produisaient les pensées, je vous ferais des tableaux que vous verriez comme s’ils étaient faits au pinceau ! je vous chanterai des airs vagues et pleins de délices que j’ai dans la tête, vous sentiriez les odeurs à qui je pense, je vous dirais toutes mes rêveries – et vous ne saurez rien de tout cela parce qu’il n’y a pas de mots pour le dire. L’art n’est pas autre chose que cette éternelle traduction de la pensée par la forme. » Gustave, 18 ans (Cahiers intimes de 1840-41, p.735)
Mais écrire n’est pas enseigner, ni faire la morale. Seuls les cuistres le croient. Ecrire vient tout seul, il faut que “ça” sorte. Cela vient de l’énergie, de l’inconscient, du débordement de soi.
« Si vous commencez votre livre en vous disant : il faut qu’il prouve ceci, cela, qu’on en sorte religieux, ou impie, ou érotique – vous ferez un mauvais livre, parce qu’en le composant vous avez contrarié la vérité, faussé les faits. Les idées découlent d’elles-mêmes par une pente fatale et naturelle. Si, dans un but quelconque, vous voulez leur faire prendre un cours qui n’est pas le leur, tout est mal ; il faut laisser les caractères se dessiner en leur conséquence, les faits s’engendrer d’eux-mêmes ; il faut que tout cela pousse de lui-même, et il ne faut pas le tirer par la tête à droite ou à gauche. Je prends des exemples : ‘Les Martyrs’, ‘Gil Blas’, Béranger. » Gustave, 18 ans, (Cahiers intimes de 1840-41, p.740).
En revanche, le rire est souverain. De Rabelais à Desprojes en passant par Voltaire, l’ironie à la française est un art de la littérature.
« Une plaisanterie est ce qu’il y a de plus puissant, de plus terrible, elle est irrésistible : il n’y a point de tribunal pour en rappeler, ni la raison ni le sentiment. Une chose en dérision est une chose morte, un homme qui rit est plus fort qu’un autre qui a une épée. Voltaire était le roi de son siècle parce qu’il savait rire ; tout son génie n’était que cela. C’était tout. » Gustave, 18 ans, (Cahiers intimes de 1840-41, p.743).
« La gaîté est l’essence de l’esprit : un homme spirituel est une homme gai, un homme ironique, sceptique, qui sait la vie. La philosophie et les mathématiques, c’est la raison, c’est-à-dire la force, la fatalité des idées ; le poète, c’est de la chair et des larmes. L’homme facétieux est un feu qui brûle. » (Cahiers intimes de 1840-41, p.744). Nietzsche n’a pas dit autre chose : il en a fait tout un livre qui s’appelle ‘Le gai savoir’.
Gustave Flaubert, Œuvres de jeunesse, Pléiade Gallimard, 2001