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Renaissance de la planification à la française

Publié le 20 juin 2010 par Copeau @Contrepoints
Renaissance de la planification à la française

En ce Conseil des Ministres du 2 juin ce fut un grand moment : Madame le Ministre de l'Economie s'est réjouie des perspectives ouvertes par le Fonds Stratégique d'Investissement, une des merveilles financières qui s'inscrit dans la grande tradition de la « planification à la française ». En effet ce FSI va résoudre le problème du financement et de l'actionnariat des entreprises. Cet organisme public a pour mission d'orienter et de financer les investissements français du futur, ceux-là même que les marchés (trop mondialisés) sont incapables de déceler et de soutenir. Un premier bilan permet de dénombrer une centaine d'investissements directement ou indirectement réalisés Mais le FSI ne s'en tiendra pas là. Il est appeler à tenir le rôle jadis dévolu au Commissariat au Plan, qui a entretenu pendant un demi-siècle la fiction de la « troisième voie » : le marché capitaliste accompagné et suppléé par le plan.

Il s'agit en fait d'une démarche purement socialiste, mais C. Lagarde doit sans doute l'ignorer, comme la plupart de nos dirigeants qui rêvent d'un « nouveau capitalisme » dirigé par l'Etat !

Le FSI : un fonds souverain à la française

De nombreux pays disposent d'un fonds souverain, qui leur permet de gérer les sommes dont les Etats interventionnistes, socialistes ou totalitaires disposent. On trouve de tels fonds dans des pays à parti unique, comme la Chine, ou dans les pays rentiers où l'Etat a mis la main sur les ressources naturelles, comme les pays de l'OPEP : cela permet d'effectuer des placements dans des entreprises que l'on juge rentables ou que l'on souhaite contrôler pour n'importe quelle raison. Lorsqu'un Etat ou un organisme public prend ainsi une part du capital, a fortiori quand cette part est majoritaire, cela s'appelle une nationalisation, mais ici on n'emploie pas le mot, puisque c'est un Etat étranger qui, par son fonds souverain public, s'empare d'une entreprise située dans un autre pays.

La France ne pouvait rester à l'écart de cette grande avancée démocratique, d'où la création en 2008 d'un fonds souverain à la française, le FSI (Fonds Stratégique d'Investissement). Pour éviter toute ambigüité, le Président de la République a décidé que le FSI serait une filiale de l'Etat directement, à 49% et à 51% de la Caisse des dépôts, le plus gros établissement public français (qui gère 80 milliards d'euros). C'est donc bien un fonds à 100% public, doté au départ de 6 milliards d'euros, portés à 20 milliards (6 sous forme de fonds disponibles, 14 de participations dans des entreprises, détenues jusque là par l'Etat ou la caisse des dépôts). Comme cela ne suffira pas, compte tenu des ambitions affichées, le FSI peut aussi emprunter sur les marchés financiers : on n'en est plus à quelques milliards de dette publique près.

Des nationalisations partielles

On a donc ainsi découvert qu'avant même la création du fonds, Etat et Caisse des Dépôts avaient de nombreuses participations dans des entreprises officiellement privées, ce qui s'appelle des nationalisations au moins partielles (alors que les Français s'imaginaient qu'on avait tout privatisé, sauf quelques « services publics »). Ces participations se sont donc retrouvées dans le FSI. C'est le cas par exemple d'Accor, Air liquide, Alcatel, Danone, France Telecom, Lagardère, Meccano, Saur, Sodexo, Vallourec, Vivendi et bien d'autres.

Depuis, comme C. Lagarde l'a expliqué avec enthousiasme lors du Conseil des ministres du 2 juin 2010, le FSI a procédé à 31 investissements directs nouveaux (pour à peine 1,25 milliards), mais il a aussi permis de créer de nombreux fonds sectoriels, qui, à leur tour, ont pris des participations dans une centaine d'entreprises. S'ajoutent ainsi à la liste des participations dans 3S Photonics, Air France, Boutoux, Carbone Lorraine, Cegedim, Chantiers de l'Atlantique, Daher, Forenap, Gemalto, Gruau, Nexans, Renault, Technip, Valeo et bien d'autres. Il faut y ajouter des participations dans des entreprises non cotées (deux tiers des prises de participation), des PME de croissance, des entreprises de taille intermédiaire, etc.

A la différence de nombreux fonds souverains étrangers, le FSI prend des participations dans des entreprises françaises. Quand un Etat, fût-ce par un intermédiaire public (ici le FSI), prend des participations dans des entreprises nationales, cela s'appelle une nationalisation, au moins partielle, suivant la part du capital détenu. Pourquoi procéder ainsi ? C. Lagarde l'a rappelé très clairement lors du Conseil des ministres : le FSI a pour objectif d'apporter, au travers de ses interventions, une réponse au déficit structurel de fonds propres des entreprises, afin d'accélérer leur développement, d'accompagner leur transformation dans des périodes de mutation (existe-t-il une période où il n'y a pas de mutation ?) ou encore de stabiliser leur actionnariat. Et, comme l'avait dit N. Sarkozy, d'éviter que nos entreprises soient « des proies pour les prédateurs ». Car l'Etat, lui, n'est jamais un prédateur !

L'Etat, fossoyeur des entreprises, vient les ressusciter

Le constat n'est pas faux. De nombreuses entreprises françaises souffrent de sous-capitalisation. Mais au lieu de chercher à compenser cette insuffisance par des capitaux publics, ne faudrait-il pas se demander d'où elle vient ? Pour avoir du capital, il faut des capitalistes, des épargnants. Avec un taux d'imposition record, comment s‘étonner que les capitaux aillent se placer ailleurs ? Avec un déficit public record, donc des emprunts d'Etat qui assèchent le marché financier, comment s'étonner que nos entreprises souffrent d'un manque de financement ? Avec une retraite par répartition et le refus de fonds de pension en France, comment s'étonner que les investisseurs soient peu nombreux ? Avec la haine des riches et de la bourse (on y gagne de l'argent « en dormant » comme disait le bon François Mitterrand) comment s'étonner qu'on manque d'actionnaires ?.

Au lieu de s'attaquer à nos vraies faiblesses, il est plus facile de s'en remettre à la Providence de l'Etat. Celui-ci adore jouer au mécano industriel et au sauveteur breton. Mais d'une part, on doit se demander si l'une des causes de notre faiblesse en capitaux propres, en financement passant par le marché, ne vient pas de ces sommes stérilisées par les filières publiques, Caisse des dépôts, Caisses d'Epargne et FSI. Si ces sommes étaient remises sur le marché libre, pas besoin d‘aller chercher des capitaux auprès de l'Etat. Si l'épargne est aspirée ou taxée pour combler les déficits publics, elle ne peut financer les investissements privés, victimes d'un « effet d'éviction ». L'Etat assèche les marchés, puis se propose d'arroser avec l'eau qu'il vient de pomper...

L'Etat, plus fort que le marché !

Mais il y a plus grave. Comment sont décidés ces investissements du FSI ? C. Lagarde nous rassure : on ne cesse d'améliorer les analyses sectorielles « dans les filières identifiées comme stratégiques lors des Etats généraux de l'industrie » et en outre, critère infaillible d'efficacité, on a une « meilleure intégration de la dimension sociale dans l'évaluation en amont des projets d'investissements ». Nous voilà revenus à la grande époque des critères de la planification soviétique. L'Etat sait mieux que le marché, mieux que les clients, mieux que les entrepreneurs quels sont les produits de demain, donc là où il faudra investir.

La réalité est simple : ou bien l'Etat, via le FSI, choisit les secteurs « de demain » et là, on peut être sûr qu'il se trompe à tous les coups : on a déjà eu d'intéressantes expériences avec le minitel, l'informatique, le France, le Concorde et bien d‘autres succès. Ou bien l'Etat définit d'autres critères d'investissement (comme des critères sociaux, environnementaux, etc.) et on change totalement de logique économique : on quitte le marché pour renouer avec le plan. Un plan soft, discret, habillé en FSI : mais c'est de toutes façons du socialisme. Ce n'est pas pour rien que presque tous les fonds souverains sont situés dans des États totalitaires ou autoritaires. La France suit ici de merveilleux modèles, qui fleurent bon la liberté !

On dira, ce n'est pas grave, ce sont de petites prises de participation, cela ne remet pas en cause les choix fondamentaux, etc. D'abord le dispositif est prévu pour monter en puissance ; ensuite, quand on manque de fonds propres, celui qui vient apporter le financement, même marginal, commande et avec l'Etat, rien n'est sans contre-partie. Plus fondamentalement, la philosophie qui est derrière est perverse : le marché, les épargnants, les entrepreneurs, les clients ne sont plus là pour faire les choix fondamentaux, ils en sont jugés incapables ; on les met sous tutelle de l'Etat. On passe en douceur de l'économie de marché au capitalisme d'Etat. Comme le disait Nicolas Sarkozy lors de la création du Fonds, « nous souhaitons faire de la crise une opportunité pour le développement ». Le Président oubliait seulement que la crise vient avant tout de l'Etat. Faire appel au pyromane pour éteindre l'incendie qu'il a provoqué, c'est une étrange politique. C'est surtout grandement risqué pour nos libertés.


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